Le plus rêche, le plus âpre, le plus acerbe des films de Bruno Dumont, dont l'atmosphère pourrait aisément se comparer à une feuille de verre que l'on viendrait frotter sur un mur rugueux, plein d'aspérités.
Pas de musique, quasiment sans dialogues, mutisme-monologue venteux, seul le bruit du vent est audible, un souffle rauque qui trouve écho dans le balancement des branches des arbres, les oscillations des brindilles d'herbes folles, les roulements des vagues de la mer au loin et le vacillement des flammes du feu de camp. Un vent qui balaie, qui met la nature en mouvement, cette nature d'une beauté accablante, si belle et si cruelle par son indifférence envers le malheur des hommes qu'elle côtoie. Car oui, le hameau qu'elle héberge, comme damné, enchaînera les évènements troublants, à la mystérieuse destinée. Un combat, un contre un, celui du diable avec un gars, vagabond de passage, au robuste et ascétique physique, seul à détenir ce secret belliqueux. Il semble puiser la force nécessaire à cet ultime duel dans le tableau de la nature époustouflante de vitalité, en lui voue, chaque jour, un culte assidu et consciencieux, face à un buisson, une clairière de sable fin, l'étendue d'un marécage. Vadrouillant par dunes et marais sur la côté d'Opale désertique, de temps à autre il s'arrête au village, pour s'alimenter ou remédier aux maux diaboliques qui accablent cette petite communauté. Déposséder la fille d'une mère de famille, anéantir le beau père d'une adolescente mal-traitée, intimidation violentée du garde chasse ou coït avec une promeneuse aguichée au allure de rite purifiant, expiation dont l'acmé, terrifiante, aboutira à un flot de bave moussante, comme le rejet d'une ribambelle de démons intériorisés, accumulation du mal et des maux de la vie.
Même au loin, avec l'élargissement des plans, le souffle des personnages marchant se fait entendre, supplantant celui du vent. Près comme juste derrière l'oreille, le souffle de Satan.
Un film qui résume à lui seul l'ensemble de la filmographie de Bruno Dumont, peut-être le plus abouti, un concentré de ses thèmes de prédilection. Mais sûrement le moins accessible pour le non averti.