Wiseman dans un format inférieur à 90 minutes, encore. L'objet de son documentaire, le destinataire de son regard : le Metropolitan Hospital de New York. Dans le prolongement de son précédent Law and Order consacré à la police de Kansas City, c'est l'exercice de la vie quotidienne à l'intérieur de cette institution qui l'intéresse avant tout, le commun, le banal, l'ordinaire — qui évidemment peuvent se révéler tout sauf commun, banal et ordinaire pour des personnes extérieures. Toujours le même œil scrutateur, toujours le même étonnement (on ne peut pas décemment parler d'émerveillement) devant la pertinence de la position, la caméra étant si souvent au bon endroit et au bon moment, résultat cependant probable d'une grande quantité de rushes éliminés et épurés au montage. Dans ce grand hôpital public situé près de Harlem, on ne peut que recevoir la confrontation à la réalité du melting-pot racial américain.
Plus on progresse dans la filmographie prolixe et la méthodologie (jusqu'alors) homogène de Wiseman, plus on est tenté d'y voir, davantage qu'une série d'études d'institutions, une série de portraits de personnes qui servent ou sont servies par un appareil. Il ne filme pas uniquement la détresse humaine, les défaillances du système de soin américain et cette Amérique des pauvres : il montre des réactions, des interactions, avec toujours la même application, la même attention, la même concentration.
Bon, inutile de le nier : le service des urgences n'est pas le lieu le plus gai qui existe, et il est bien souvent difficile de ne pas se retrouver impliqué émotionnellement (du rire aux larmes) dans ce que l'on observe. Des médecins aux psychiatres, des petits bobos vite réparés aux opérations en salle stérile qui ouvre le film (et les viscères), on est indirectement confronté à l'expertise des uns et à la disponibilité (ou indisponibilité bien sûr) des autres, et à tous les équipements, communications et organisations qui conditionnent inéluctablement le soin. Certaines séquences donnent littéralement l'impression d'être au cœur de la tempête, dans l'œil du cyclone, avec au milieu d'une urgence absolue un calme et une application tous deux fascinants.
Wiseman prend le soin de marquer également la diversité des gens qui atterrissent dans ce service, avec d'un extrême à l'autre des gros toxicos ressemblant à des zombies lacérés de coups de couteau et un jeune étudiant des Beaux-Arts en plein bad trip — visiblement après avoir ingéré un mauvais cacheton ou un peu trop de mescaline. Moment génial, d'ailleurs, indépendamment du sale quart d'heure qu'a dû passer le principal intéressé, car Wiseman s'en sert comme un ressort comique parfait pour désamorcer l'ambiance pesante qui peut régner. Au milieu de cette jungle cruelle, l'absurde flirte avec l'humour : on se souviendra très longtemps de cette séquence remplie de "I don't want to die" qui se termine dans des flots impromptus de vomi.
Ce qu'on peut aussi beaucoup apprécier chez Wiseman, c'est cette façon de mettre tout au même niveau, d'accorder de l'importance à presque tout, de mélanger le grave et l'anodin. Cette disposition contribue à créer une belle complexité qui n'évite pas pour autant le tragique ou le sordide.
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