En 2007, alors que sort dans les salles du monde entier le deuxième volet de ce qui restera comme un diptyque fonctionnant en parfait complément l’un de l’autre, Eli Roth fait partie de la nouvelle bande de B-makers, pratiquant une horreur revenant aux sources du genre, jeunes cinéastes posant leurs tripes sur la table avec comme principale note d’intention de radicaliser un cinéma de genre ayant perdu son aspect transgressif au profit d’une ironie post moderne ayant connu son acmé avec la saga Scream de Wes Craven, mais ayant eu du mal à se renouveler par la suite, pour cause de trop grand opportunisme. Aux côtés des Alexandre Aja, Rob Zombie et autre Greg McLean, le jeune wonder boy a déjà réalisé deux longs métrages, dont le premier opus du film nous intéressant aujourd’hui, et l’avenir semble lui sourire. Ce qui frappe au revisionnage, avec le recul permis par les 17 ans nous séparant de sa sortie, c’est à quel point tout dans le film semble nous affirmer que l’on a à faire à un metteur en scène en pleine possession de ses moyens, réalisant ici son film majeur qui l’installera parmi la galaxie de prodiges du genre. Avec sa structure d’une limpidité et d’une précision admirables, posant les pions de son échiquier avec une minutie et une patience rares, faisant mine de nous perdre à nouveau alors qu’il sait très bien où il va, et sa mise en scène sophistiquée sans être prétentieuse, cela aurait dû être le début d’une carrière fructueuse plaçant le cinéaste au sommet. Pourtant, après ce coup d’éclat, il aura fallu attendre un certain nombre d’années avant qu’il revienne, comme déjà essoré et désabusé pour cause de déconvenues et d’incompréhension. Petit retour en arrière.
Le premier volet mettait en scène deux amis américains en voyage en Europe, à la recherche de filles et de substances illicites. Alors qu’ils suivent leurs pérégrinations avec un joyeux luron Islandais rencontré au fil de leur voyage, ils font la rencontre dans une auberge de jeunesse d’un camarade leur parlant d’un endroit situé en Slovaquie où ils pourront rencontrer les filles les plus belles et les moins farouches dont ils puissent rêver. Nos joyeux crétins ne se font pas prier et se retrouvent, pour aller vite, pris au piège d’un réseau de trafic d’êtres humains, permettant à de riches étrangers de se payer le grand frissons en torturant et tuant de pauvres victimes innocentes, en échange bien entendu de grosses sommes. Vendu à l’époque comme un shocker ultra violent directement inspiré par les films de tortures japonais, avec en guest star le fameux Takashi Miike, les fans de gore avaient été décontenancés face à ce qui s’apparentait, à première vue du moins, comme une comédie potache à la « American pie » dérivant vers de l’horreur certes malsaine mais finalement plus récréative que réellement traumatisante. Oui, mais ça, c’était sous sa première couche de lecture, en prenant le film au premier degré, pour ce qu’il nous vendait (aidé également par la tutelle du célèbre Tarantino apposant son nom comme caution), avec son récit efficace et jouissif. Pourtant, au fil des revisionnages, et avec en complément ce second volet en forme de miroir inversé, il semblait clairement évident que Eli Roth était beaucoup plus intelligent que ce qu’il essayait de nous faire croire, petit malin qu’il est, et que ces deux films pouvaient aisément prétendre au statut d’œuvres majeures du genre, sans doute les plus grands films du genre contemporains.
Ce second chapitre, terme à ne pas employer à la légère, étant clairement la deuxième face d’une même pièce plus qu’une suite à proprement parler, fait pourtant mine dans un premier temps de remaker le premier film, mais avec des filles à la place des mâles en rut. Sentiment accentué par le trouble créé dans un premier temps par une structure cachant bien son jeu, nous présentant succinctement des personnages dont on comprendra rapidement qu’il s’agira des futurs bourreaux, sans s’appesantir outre mesure sur ces derniers. On suivra donc les trois jeunes femmes, étudiantes en Art, bientôt suivies par une 4ème, celle quis les emmènera vers l’enfer, pour des enjeux éloignés des préoccupations des protagonistes du premier chapitre, mais semblant néanmoins à première vue ne pas avoir grand-chose à ajouter à son propos, si ce n’est de jeter dans la gueule des loups d’innocentes jouvencelles promises aux pires tourments. Ce n’est qu’au détour d’une scène reprise là encore sur le premier volet, que les véritables intentions du metteur en scène / scénariste se feront jour, avec une hauteur de vue que l’on ne pouvait soupçonner au vu du film précédent, du moins avant que l’on ne le réévalue à l’aune de cette suite.
Choisissant d’opter pour une structure alternée suivant à la fois les futurs bourreaux et leurs victimes désignées dans le système de mise aux enchères, le récit prend à ce moment-là des chemins beaucoup plus troublants que ce que l’on aurait pu imaginer, allant bien au-delà d’une simple inversion de point de vue pour créer un vrai discours sur un monde ayant fait de la marchandisation un nouveau système de valeurs, se propageant réellement dans le monde entier comme on le voit lors de la fameuse scène de mise aux enchères. Perte de valeurs, cynisme des riches hommes d’affaires pouvant tout se payer mais toujours en quête de plus de frissons, jusqu’à mépriser la vie humaine dans l’espoir de se placer un instant au-dessus du commun des mortels, le cinéaste pousse cette logique à un point extrême. Pour un peu, on pourrait se croire dans l’équivalent horrifique du cinéma d’un Ruben Östlund, à la différence près que là où ce dernier se place au-dessus de ses personnages en croyant avoir découvert de grandes vérités (ce qui ne l’empêche pas d’être talentueux malgré tout), Eli Roth prend le risque de se faire passer pour plus bas de plafond qu’il ne l’est réellement, faisant mine de racoler auprès d’un public avide de sensations (plaçant donc ce dernier au même niveau que les bourreaux de son film) en lui promettant un film flattant ses bas instincts, pour en sous texte, placer un paquet de considérations d’une radicalité politiquement incorrecte qui aurait de quoi laisser en sueur les spécialistes du premier degré.
Le premier chapitre avait déjà bien lancé les hostilités en la matière, filmant la Slovaquie, représentée comme une sorte de no man’s land indéterminé qui pourrait se situer un peu n’importe où, de la manière dont un américain moyen pourrait visualiser ce type de pays, zone de non droit où même les enfants se comportent comme des sauvages, bande de gamins livrés à eux-mêmes agressant les touristes, sortes de roms tels que l’inconscient collectif les visualise. Une vision tellement outrancièrement caricaturale qu’elle ne peut décemment être prise au premier degré, poursuivie ici avec une véhémence encore décuplée, à l’occasion d’une scène d’une violence morale ahurissante. Les plus fragiles pourront donc, en découvrant le film aujourd’hui, y voir une vision fascisante et / ou cynique des plus déplaisantes, là où les plus lucides d’entre nous y décèleront une vision authentiquement d’auteur, laissant le spectateur face à ses propres responsabilités, sans jamais chercher à le rassurer par un contre point moral quel qu’il soit, comme il serait d’usage dans le cinéma actuel où arrondir les angles semble la principale motivation des réalisateur pétrifiés à l’idée de se faire tomber dessus.
Toutes ces considérations n’empêchent pas Eli Roth d’être un artisan de l’horreur consciencieux pratiquant un cinéma de genre où l’ironie n’empêche pas le premier degré dans l’exécution. Avec sa durée standard pour ce type de cinéma, autour des 90 minutes, et son récit prenant son temps tout en ne laissant aucun véritable temps mort, se dirigeant lentement mais sûrement vers sa destination, il perpétue avec talent une tradition de l’horreur que des cinéastes aussi majeurs que Romero ou Carpenter avaient lancée avec leurs pavés féroces, qui alliaient force de frappe de la série B authentique fonctionnant au premier degré, et niveaux de lecture pouvant faire voir les films de manière politique, sans tomber dans une théorisation intellectuelle type « elevated horror ». C’est ainsi qu’entre des scènes de sévices aussi horribles que parfois porteuses d’une véritable poésie macabre (la première mise à mort inspirée de la Comtesse Bathory, d’un très haut raffinement dans le sadisme ), et des moments de cinéma pur semblant injecter du piment dans une imagerie de conte de fées, le cinéaste déroule sa pensée avec assurance, livrant un modèle n’ayant peut-être pas encore livré tous ses secrets, et qui vieillit bien mieux que ne le feront les films « politiques » actuels, aux discours si consensuels qu’ils n’ont rien à cacher, aucun second niveau de lecture, aucune complexité, où tout ce qui doit être compris par le spectateur est dit frontalement pour être sûr d’être bien entendu. Roth, lui, n’a que faire d’être considéré comme un grand Auteur ayant des choses à dire, et dit ce qu’il a à dire sans se boucher le nez, sans précautions, en se foutant bien d’être compris ou non. Toujours est-il qu’aujourd’hui encore, ses films ont le doux parfum de ces films de genre sardoniques et jubilatoires comme il s’en faisait avant, au bon vieux temps des 70’s et 80’s, quand faire ce type de cinéma était un Art ne se prenant pas trop au sérieux. La sortie de ce film avait été entachée par la circulation illégale d’une copie de travail sur le Net avant la sortie, ce qui avait rendu son cinéaste particulièrement désabusé durant sa promo, et lui avait fait arrêter la réalisation pendant quelques années avant de revenir avec son tout aussi féroce, mais néanmoins un peu moins impactant, The green inferno, sa version des films de cannibales italiens. Car il s’agit évidemment d’un cinéaste cinéphage ayant biberonné à tout un pan du cinéma alternatif, jusqu’au plus inavouable, et ce Hostel chapitre 2 le prouvait déjà avec ses apparitions à destination des spectateurs les plus connaisseurs, de Edwige Fenech en professeur d’Art jusqu’à Ruggero Deodato dans un rôle sur mesure, en passant par Luc Merenda, en flic italien, il y a de quoi satisfaire les nostalgiques d’un « autre » cinéma, ce fameux cinéma populaire transgressif qui aura bercé des générations de cinéphages, et nettement infusé dans ce diptyque majeur d’un cinéaste doué ayant digéré ses références pour nous offrir sa vision féroce du monde. Incontournable.