Marcel Carné, c'est la poésie. C'est la vie des petites gens de l'époque, c'est la sincérité des mots, des voix, des gorges, des yeux, des visages. C'est le naturel d'un jeu d'acteur et la gouaille de toute une populace, empêtrée dans son petit monde où le réel vit jaillit survit.
Hôtel du Nord, c'est un hôtel dans une petite ville perdue au find fond de Dieu sait où. C'est le noir et blanc et la beauté des images, c'est l'obscurité et l'ombre des ruelles poisseuses, noires de bruit, de monde, de vie. C'est le visage d'Arletty et la gouaille de mots qui sortent comme de la magie, c'est la profonde beauté de dialogues ici écrits par Henri Jeanson lorsque ce n'est pas Jacques Prévert, habituellement fidèle poète et dialoguiste de l'homme Marcel Carné. C'est la futilité de la vie, la petitesse de l'existence, la véracité des dissonances, la vie.
C'est la recherche de la mort qui demande la vie, c'est la lumière qui finit par irradier l'obscurité, jusqu'à se transformer en une beauté affreusement simple.
Marcel Carné le prouve, encore une fois : c'est dans la simplicité de l'existence que la beauté apparaît d'un coup, sans qu'on est rien demandé à personne. C'est dans la futilité quasi documentaire de la vie que la poésie passe en coup de vent, et laisse une marque, profonde, dans le cœur du spectateur. Le réalisme poétique du cinéma français, en même temps que le néoréalisme italien, nous le montre : tous deux transfigurent l'académisme trop présent d'un cinéma trop propre sur lui.
Et puis c'est tout.
Et alors ça frise, ça défrise, ça triture les sens, le cerveau, les yeux. C'est beau comme un champs de pâquerette un jour de ciel bleu où le soleil est trop haut, bien haut. C'est beau comme deux amants qui s'aiment, le visage en gros plans baignés d'un noir et blanc fracassant. C'est beau comme la tendresse de chaque individus qui parlent et qui rient, et qui gigotent et qui crient. C'est beau comme l'argot et comme les mots. Comme cette phrase que sort machinalement Arletty à Louis Jouvet à ses côtés. Louis Jouvet et sa façon nonchalante de parler dans sa barbe (même si il n'en a pas, de barbe), sa gouaille tout entière, comme tous les autres, ces petites gens du peuple, sidérants de tendresse, de délicatesse, de finesse.
"Qu'est-ce que t'es chouette ! T'es si chouette qu'y'a des moments qu'j'oublie qu't'es à moi au point de croire que t'es mon frangin !"
Il vous suffit d'observer le dialogue avec l'intonation, la voix sidérante de Arletty, la tendresse et la finesse, et alors vous saurez à quoi ressemble Hôtel du Nord, ce bijou de vie, de poésie.
Parce que c'est la vie, c'est la simplicité, c'est la futilité, c'est cette vie tellement simple, ces paroles tellement banales mais tellement pleines de sincérité, que ça en devient d'une grâce sans borne, d'une poésie folle, d'une fragilité sans paroles. Et puis on ne demande que ça. La vie. La futilité de l'existence. La beauté simple d'un monde sans fioritures, où tout est naturel, simplicité, joie.
C'est un film où la tendresse des individus transpire par tous les pores de chaque peaux. Où la poésie irrite, déstabilise, où le dialogue entre deux êtres qui veulent la mort mais qui finissent par avoir la vie, devient d'une beauté sans nom. C'est un film de Marcel Carné, une petite parenthèse pleine de poésie dans ce monde de brute.