Hôtel Terminus par Ninesisters
Après Le Chagrin et la Pitié, superbe fresque documentaire sur la France au temps de la collaboration, Marcel Ophüls réalisa Hôtel Terminus, autre documentaire monumental de plus de 4 heures, consacré par un Academy Award.
Cette fois, il s’intéresse à Klaus Barbie, dit le Boucher de Lyon. Mais il faut bien comprendre qu’il ne s’agit là que d’un prétexte, tout comme Clermont-Ferrand n’était que prétexte dans Le Chagrin et la Pitié pour dépeindre les comportements des Français au sens large sous l’occupation.
Car, quand nous y pensons, qu’est-ce qui différencie le chef de la Gestapo de Lyon du tout-venant des officiers de rang similaire qui ont commis des atrocités durant la guerre ? Pourquoi ne pas parler à la place de Alois Brunner, qui dirigea le camp de Drancy ? Pour plusieurs raisons : le rôle que l’Histoire a donné à Jean Moulin – donc à son bourreau – et surtout le fait qu’il soit réapparu en France sur le tard, alors que tous les criminels de guerre de plus grande envergure avaient été arrêtés et jugés depuis longtemps, étaient morts, ou faisaient parler d’eux dans d’autres pays.
Nous pourrions penser que Klaus Barbie ne concerne vraiment que la région lyonnaise, si nous mettons de côté l’épisode Jean Moulin, mais cet homme constitue avant tout un symbole, à la fois d’une époque et d’un régime.
Marcel Ophüls n’est pas dupe, et nous nous rendons compte que Klaus Barbie sert plus de fil rouge pour revenir sur de nombreuses histoires perdues dans la grande, comme la résistance – même si le documentaire est tardif, il reste des personnalités marquantes à interroger – la collaboration, ou quand tout le monde nous explique avoir été résistant de la première heure, mais aussi la protection assurée aux criminels de guerre nazis par le contre-espionnage américain après la défaite allemande, la fameuse « Rat Line » qui permettait à ces mêmes nazis de fuir vers l’Amérique du Sud, ou encore la bienveillance des gouvernements locaux envers ces expatriés pas comme les autres. Le cas Klaus Barbie témoigne de méthodes, d’états d’esprit, absolument aberrants et par la même passionnants.
Le réalisateur part de Klaus Barbie, et y revient dès qu’il s’agit de progresser dans l’Histoire. Entretemps, il se livre à une étude sur l’humain. Quand il interroge d’anciens résistants lyonnais sur l’identité du traitre, celui qui a trahi Jean Moulin, il s’éloigne clairement du sujet puisque cela ne concerne qu’indirectement l’intéressé ; mais cela met en lumière une mentalité et des événements fascinants.
A plusieurs reprises, il croise des personnes, quidam ou non, qui lui disent à peu de choses près : « laissez les morts là où ils sont ». Et il est vrai, dans un sens, que certaines vérités ne semblent pas toujours bonnes à dire, comme s’il y avait prescription. Mais il faut les dire malgré tout. De Gaulle, comme un symbole, avait clamé que toute la France avait été résistante ; il s’agit d’une contre-vérité, et même si cela peut déplaire à certains, exposer les faits constitue un travail de salut public.
Plusieurs entrevues s’avèrent impressionnantes, pour différentes raisons. Dans certains cas, nous avons affaire à des individus qui essayent de cacher tant bien que mal les réalités de leurs actions, de dissimuler leurs fautes passées. Dans d’autres situations, nous avons exactement l’inverse : des criminels, parfois qui n’en ont absolument pas conscience, parlant avec aisance et un naturel effrayant d’actes odieux ou de convictions ahurissantes. Ce documentaire prend parfois des allures surréalistes, malgré sa véracité et son authenticité.
Hôtel Terminus, tout comme Le Chagrin et la Pitié, n’est pas seulement un long-métrage fort et dérangeant, c’est avant tout un témoignage important à ne surtout jamais oublier.