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Le constat au bout de dix minutes de film est un tonitruant : Nani ?!
Cast, cadrage, musique, ton, thématiques, temporalité, ellipses, flashbacks, montage, quatrième mur, transitions, effets, acting, langage, accélérations… Tout semble décousu. Une entrée en matière déstabilisante tant on est loin des codes habituels du cinéma, nippon ou non. Et pourtant on s’habitude une fois que l’on a lâché le morceau et accepte d’être bringuebalé dans tous les sens. La singularité d’une œuvre riche, trop riche, qui ose tout, nous porte alors durant 1h20 de folie furieuse. Et pourtant, derrière l’apparent fatras qui ne cesse de surprendre, il y a un fond qui point. Entre deux trucages aussi ridicules qu’ils sont géniaux, on a le droit a un aperçu de la psychée de Nobuhiko Ôbayashi.
Mais revenons à la genèse du film. La Toho, envieuse du succès Outre-Pacifique (si on se place sur l’archipel) de Jaws, cherchait à exploiter le filon et à avoir son propre monstre. Mais pas une pâle copie à la Orca, quelque chose qui s’inscrirait dans le folklore japonais. Débarque alors Ôbayashi, pubard qui connaissait un certain succès, et qui, selon la légende, aurait écrit le script de House sur une idée de sa fille de onze ans : “Je serais terrifiée si mon reflet sortait du miroir pour me dévorer”. Ce ne serait pas un requin, mais une maison. Malheureusement, la Toho refuse de produire le film suite à la lecture du scénario, le trouvant trop délirant. Le cinéaste commence alors à travailler sur un manga et une pièce radiophonique qui rencontrent le succès à leur sortie. Le film peut alors être produit, et Ôbayashi est embauché à la réalisation, une première dans l’histoire du studio qui n’a jamais donné la main à une personne extérieure à son système.
Une première également car House est un teen movie, genre jusqu’alors inexistant au Japon. Un genre qui se révèle central à ce que veut raconter le film. Les sept personnages sont nommés par leur fonction (trope que l’on retrouvera dans les jeux de Hideo Kojima), et sont donc complètement archétypaux. Ils sont pourtant membres d’une génération qui s’inscrit en faux par rapport à la précédente, ne comprenant pas le revirement soudain des mœurs qui a résulté de la capitulation japonaise vingt ans plus tôt. Les traditions, le folklore, les valeurs : tout un monde qui a disparu, soufflé par les explosions atomiques. Nos héroïnes parlent de la guerre comme d’une époque trop vieille pour être tangible, alors qu’un flash-back revenant au film muet est commenté en temps réel. Elles sont l’amnésie d’une jeunesse post-guerre qui se fait dévorer par la culture occidentale. Elles n’ont plus les repères d’antan, la capacité de se défendre, et recrachent sans comprendre ce qui se déversent en elles via leur télévisions, leur radios. Des proies faciles.
Et pour appuyer son propos, c’est toute l’histoire du cinéma que retrace Ôbayashi dans son film:
- L’ouverture sur un hommage au cinéma muet expressionniste allemand.
- Des peintures de décors de mélodrames américains (Gone with the Wind et consorts) et une esthétique publicitaire s’emmêlent dans un factice volontaire.
- Les matte paintings de la gare viennent rappeler les mégalopoles de Hitchcock tandis qu’un travelling compensé cite Vertigo.
- Les saturations de couleurs criardes évoquent la naissance du Technicolor.
- Un magazine figurant les monstres d'Universal qui prend peu à peu une place prépondérante dans le cadre, signifiant l’héritage dans lequel veut s’inscrire House, tandis que le mythe de Dracula est revisité : le vendeur de pastèque de mauvais augure, le manoir perché sur la montagne, le vampire dans le miroir, la jeunesse éternelle par l'absorption…
- Des références à la Nouvelle Vague française pointent le bout de leur nez
- Les dernières scènes font appel à des images psychédéliques qui font écho aux expérimentations de la télévision anglaise d’alors.
Soixante années de cinéma mondial sont convoquées pour narrer l'engloutissement de la culture nippone qui a capitulé, tout en signant une lettre d’amour de Ôbayashi au septième art.
Mais le cinéaste n’est pas en train de faire l’apologie du Japon d’avant-guerre. Il ne fait que constater, avec une inventivité qui dépasse le simple cadre de l’expérimental. Il est lui-même un enfant du conflit, et n’en comprend que trop bien l’impact. Issu d’une famille de médecins, c’est sans doute la destinée qu’il aurait connu si son monde n’avait pas été ébranlé. Mais pour lui, médecine et cinéma mènent le même combat. Le jour où les hommes n’auront plus de besoin de se faire soigner, où la misère ne sera plus et l’insouciance sera maître, alors les films n’auront plus besoin de raconter quoi que ce soit.
Une utopie sans cinéma, c’est au moins aussi étrange que House.