Avec 𝐻𝑢𝑙𝑘, Ang Lee s'affranchit résolument des conventions du film de super-héros pour offrir une exploration personnelle et viscérale du personnage. Contrairement à la majorité des justiciers dont les pouvoirs sont perçus comme une bénédiction, Hulk représente pour Bruce Banner une véritable malédiction. Le réalisateur plonge au cœur de cette dualité, mettant en scène un être tourmenté dont chaque transformation est synonyme de perte de contrôle et d'angoisse profonde. Loin de se contenter d'une simple succession d'effets spéciaux, le film aborde avec finesse le poids psychologique de cette métamorphose imposée, ajoutant une profondeur insoupçonnée à l'histoire d'un homme en lutte contre une force intérieure qu'il n'a jamais souhaitée. Cette dimension tragique, évoquant les mythes de Frankenstein et du Dr Jekyll, confère à Hulk une intensité rare dans le genre.
La mise en scène d'Ang Lee intègre magnifiquement les références aux comics, transposant avec une maîtrise impressionnante le langage visuel de la bande dessinée à l'écran. Les techniques de split-screen et les transitions dynamiques rappellent le découpage des planches, rendant hommage aux créateurs originaux. La colorimétrie saturée renforce cet effet visuel, créant une atmosphère unique oscillant entre réalisme brut et esthétique quasi carton-pâte. Chaque scène devient une illustration vivante, plongeant le spectateur dans un univers audacieux et captivant. Ces choix esthétiques surprennent et fascinent, même si l'on peut parfois ressentir un certain manque de rythme dans le déroulement de l'intrigue.
L'antagoniste, interprété par un Nick Nolte habité, est une figure complexe et intrigante. David Banner, père de Bruce, n'est pas un simple méchant archétypal, mais un homme consumé par ses propres échecs et obsessions scientifiques. Sa relation avec son fils est marquée par une violence latente et une volonté de domination destructrice. Il ne cherche pas seulement à nuire à Bruce, mais à l'assujettir, imposant le poids de ses erreurs passées et de ses ambitions démesurées. Cette figure paternelle toxique ajoute une dimension familiale intense et peu commune dans le cinéma super-héroïque. La lutte œdipienne entre Bruce et son père devient poignante, mêlant quête d'identité et nécessité de s'émanciper de cette emprise tyrannique.
Il faut également saluer la manière dont Hulk est incarné à l'écran. Ang Lee et son équipe réussissent à rendre ce colosse vert à la fois impressionnant et presque organique. Hulk n'est pas un simple effet numérique, il semble respirer, ressentir, souffrir, ce qui le rend crédible malgré son apparence fantastique. Cette humanisation du personnage en fait une figure vulnérable, déchirée entre sa nature destructrice et sa part d'humanité. Certes, le film souffre de quelques longueurs et de scènes parfois diluées, mais l'ensemble demeure une expérience visuelle et émotionnelle marquante, un film de super-héros qui ose plonger dans des thématiques profondes et universelles.
En définitive, 𝐻𝑢𝑙𝑘 d'Ang Lee est une œuvre audacieuse et innovante qui se distingue par sa richesse visuelle et ses thèmes introspectifs. Cette approche psychologique et humaine, alliée à une esthétique soignée, fait de ce film une proposition unique dans le genre, capable de captiver tout en interrogeant le spectateur sur les luttes intérieures du protagoniste. Ang Lee réussit à transcender les codes du blockbuster pour offrir une réflexion profonde sur l'identité, le contrôle de soi et les liens familiaux. Un pari osé qui, malgré ses imperfections, laisse une empreinte durable dans le paysage cinématographique des super-héros.