Dans La Ruée vers l’or, Charlot partait en quête de fortune sous la neige. Désaxé, il faisait face au froid, aux immenses plaines et à lui-même. L’humour slapstick, que l’on pourrait définir par l’exagération drolatique de la violence, repose sur des gags visuels au service d’une intrigue sommaire. Charlie Chaplin, Buster Keaton, ou même Harold Lloyd ont œuvré à faire connaître ce registre auprès du grand public. Hundreds of Beavers, signé Mike Cheslik, est une proposition à mettre en filiation avec l’exemple cité en début de propos. On y décèle une figure anarchique, looser ivrogne luttant pour réussir et survivre, alors que le froid le retient en route. Des péripéties loufoques s’inscrivent dans le récit, chaque geste, élément sonore ou du décor, dénotant un surréalisme sans précédent. Bonjour les Looney Tunes, et autres animaux cartoonesques.


Après Lake Michigan Monster, Cheslik retrouve Ryland Brickson Cole Tews en vendeur de cidre bien entamé. Figure pathétique, dirions-nous risible, John Cayak est façonné à la hauteur des animaux qu’il croise et souhaite chasser. Lapins, castors, ratons-laveurs, sont campés par le casting d’acteurs sous costumes en velours. Il se crée une ambivalence, presque fascinante, devant les gesticulations de chacun, tantôt en position d’infériorité ou supériorité. Quand il y a rapport de force, il s'exprime peu car le danger est le même pour tous. Indécidable, imprévisible, mais pas insurmontable. La probabilité qu’il survienne est constante, l’obstacle étant renouvelé par ses formes solides, flexibles ou fragiles. Modulable à souhait, il motive chaque action du trappeur qui apprend tout seul quand il n’est pas aidé. Didacticiel à la main ou non, matérialisé au moyen d'une carte ou un schéma stratégique, le vendeur d’Applejack fonce tête baissée. Maladroit mais attachant, à force de répéter les facéties.


L’introduction éveille l’absurdité du contexte, où l’aventurier est malmené d’un emplacement à l'autre, rythmé par le chant des festoyeurs avant une explosion soudaine. Intraitables, les castors ont ruiné son commerce. Toutes les échelles jusqu’au plan d’ensemble, très commun au burlesque, sont d’emploi. Pas de répit accordé au futur trappeur, poursuivi et poursuivant sans repos. L’attente est amenée par un silence, un resserrement des personnages dans le cadre, quand le cinéaste concède une respiration à la fiction. Des citations sont multiples, quand ce n’est pas Keaton (les Fiancées en folie), ou la déformation du corps humain et animal renvoyé comme projectile (Tex Avery, Chuck Jones...), le jeu vidéo s’immisce avec référencement au succès du héros (Mario).


Ces situations visuelles sont portées par des effets spéciaux du logiciel Adobe, bien mis en valeur par une photographie au noir et blanc prononcé. Un détour vers l’expressionnisme, à la rencontre des loups en forêt, au sein de leur grotte, attestent d’une menace horrifique sur le trajet. Rien ne démord du ton comique, le dévoilement des yeux menaçants, ou l’irruption d’un lapin en arrière-plan, restent empreints d’une jolie fantaisie. Le rapport entre l’homme et l' animal est transfiguré, puisque de mêmes moyens de lutte se rapportent au second. Il faut tendre des pièges élaborés, appâter, initier la glissade. Une dynamique plaisante en ressort, ne sachant pas si John évitera la même broutille le faisant échouer. En gimmick, le sifflement après la chasse, hilarant, rappelle l’oiseau aux alentours. Ne pas s’enflammer, voyons.


Hundreds of Beavers use à bon escient des codes du mélodrame muet, incluant des intertitres, un fond musical, et peu de dialogues quand les êtres humains échangent. C'est lors du ravitaillement auprès du vendeur de fourrures, et autres accessoires plaisants, que la curiosité sentimentale du voyageur s'éveille. Fort de son expérience, il tente de séduire la dame et grille les étapes. En société, ce ne sont plus les mêmes enjeux qui se présentent, il doit trouver sa place, et cela ne s’acquiert pas instantanément. Ces moments du récit sont engageants, amenant la précipitation, car le malheureux n’est pas plus doué dans cet exercice.


Certains traits sont marqués, des visages aux expressions grossies, aux interjections prolongées, jusqu'aux costumes obsolètes recouvrant l'espace. Les mouvements accélérés, au cœur de l'action, ne nuisent jamais à la tangibilité des éléments et des êtres à l'écran, dont les particularités se révèlent au contraste du noir et blanc. Un ludisme à toute épreuve, défiant les lois de la physique.

William-Carlier
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le 9 oct. 2024

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