La faim justifie les moyens
La mise en scène de Steve McQueen partage les mêmes défauts que ses qualités. Froide et distante, voire minimaliste (ce qu’on retrouve dans le scénario et les dialogues), elle semble ne vouloir prendre aucun parti, dans une position quasi documentaire, loin d’un film au ton « sentimentaliste » (sans notion péjorative) comme Au Nom du père, pour rester dans le même sujet. Le film se veut le plus objectif possible en soulignant la cruauté et l’absence d’alternative de chaque côté, notamment en confrontant la maltraitance des prisonniers aux assassinats vindicatifs, avec, entre les deux, quelques réactions traumatisées des gardiens. Neutralité absolue donc aussi dans la description de Bobby Sands. Il n’est ici ni un martyr ni un terroriste sans remords mais un homme idéaliste, peut-être trop, jusqu’à la naïveté et à l’égocentrisme (c’est ce qui se dégage du magnifique dialogue entre lui et le curé, fantastique plan séquence de 17 minutes, balayant là aussi toute notion de subjectivité).
Le problème dû à ce recul perpétuel, dans le fond comme dans la forme, donc, c’est qu’il n’y a que très peu d’identification, presque aucun investissement émotionnel possible de la part du spectateur. Trop froid, le résultat manque clairement d’empathie. Au final, on regarde la déchéance physique du prisonnier (incroyable prestation de Fassbender) avec trop de détachement pour véritablement se sentir concerné. Le sentiment d’horreur est présent mais un peu trop timide. C’est un choix mais je pense que la force du film aurait été décuplée en se rapprochant un peu plus des personnages. Quoi qu’il en soit, Hunger reste une très bonne représentation des tensions dans les geôles britanniques en temps de guerre civile, esthétiquement intéressant, qui gagne probablement en profondeur ce qu’il perd en intensité dramatique.