Un seul mot : Hunger. Une claque visuelle qui laisse coi devant une telle maitrise déshumanisée, et pour laquelle, Michael Fassbender s’abandonnera corps et âmes comme il le fera pour Shame. Steve Mcqueen nous embarque dans un environnement cloisonné, où les corps et les esprits sont enchainés et dans l’incapacité de s’exprimer. Des détenus politiques (IRA) voient leurs revendications pugnaces s’éclabousser contre les murs repeints d’excréments, s’effriter contre le bruit des matraques qui résonnent contre les barreaux. L’homme est devenu un bourreau. Les révoltes vont alors éclater et non sans conséquences. Derrière cette réalité politique difficile tant dans la prison qu’à l’extérieur de celle-ci où le terrorisme fait rage, Hunger dévoile avec minutie un visage à plusieurs facettes : à la fois terriblement plastique puis littéralement humain.
Steve Mcqueen ne prend pas parti, livre alors un film engagé sans l’être réellement, détournant son sujet pour composer une œuvre corporelle jusqu’au boutiste. Dans sa première partie, Steve Mcqueen préfère matérialiser sa construction autour de son esthétisme méticuleux pour nous faire rentrer de plus près dans cet univers carcéral violent où les coups pleuvent avec les forces de l’ordre devenant des passages à tabac filmés sans esquive. Les personnages ne sont alors qu’un prétexte pour codifier des thèmes narratifs. Proche de la démonstration cinématographique, avec ces peintures visuelles voyant les sols jonchés d’urine, Hunger est avant tout le film d’un esthète graphique, un penseur de la réalité cadré, mais qui a le sens de la narration avec une caméra qui sait prendre le sens de l’espace et faire vivre une panoplie d’émotions.
De la pénombre à la lumière, c’est une mise en scène au service de son propos car quand vient la deuxième partie du film, Hunger se désagrège, s’illumine dans l’obscurité, se réchauffe dans sa froideur, met un genou à terre où le combat ne situe plus dans l’affrontement physique mais dans le recueillement psychologique. Bobbie Sands, leader de l’IRA, présenté tel un martyr christique, est prêt à se sacrifier pour donner vie à son idéal. Hunger est une œuvre qui se dévoue pour le corps alimenté par l’envie d’en découdre servant alors d’arme par la même occasion. Mais pas que.
Comme dans ses deux œuvres suivantes, Steve Mcqueen étudiera avec brio la notion de liberté et d’enfermement corporel. Dans Shame, la destruction psychique et dépendante de Brandon automatisait l’utilisation de son corps par une addiction dévorante. Avec Bobbie Sands, le revers est différent, où l’esprit libre se détache de son enveloppe et lui permet de détruite son corps pour une cause qui le dépasse. Quelles sont les limites d’un homme face aux privations qu’on lui impose ? Il s’en impose de nouvelles pour dépasser sa propre condition d’humain.
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