Je veux du feu, on me donne des cendres
Je remarque qu’il y a une forte tendance des épopées héroïques modernes à devenir sombres à mesure qu’elles progressent. C’est ce qui m’a fait abandonner Harry Potter, ce qui m’a fait ne regarder que le premier Batman de la trilogie de Christopher Nolan. Quand l’intrigue commence, quand elle naît sous nos yeux, elle est ce qu’elle signifie, c’est-à-dire intrigante, originale, attisant la curiosité, l’enthousiasme même. Les personnages nous deviennent connus, on s’y attache, leur univers se développe dans le mystère, rebondissements, révélations, apparitions de nouveaux personnages. Et Hunger Games, l’épopée adolescente par excellence, dont on accepte qu’elle soit criblée de clichés, d’incohérences, de niaiseries, parce qu’elle nous galvanise malgré tout, parce que les jeux nous excitent, parce que les scènes d’action nous font frémir, parce qu’on est tellement révoltés face au président Snow, Hunger Games est la plus efficace, la plus manichéenne des épopées. Elle ne laisse aucune place au relatif, elle oppose un peuple oppressé à une minorité tyrannique, un geai moqueur à une rose blanche, elle représente en somme tout ce que la caricature porte de force positive sur le cerveau humain : elle PARLE, elle SOULEVE (il paraît même que le salut avec les trois doigts a été interdit en Thaïlande).
Et c’est à Embrasement, avec des idées comme le jeu organisé en horloge et la foudre qui tonne l’heure sur un arbre, et le brouillard qui tue, et les geais qui évoquent les cris des proches, que précisément je me suis embrasé. Le deuxième volet assume tellement bien le premier, le prolonge avec tellement d’énergie, qu’il lui donne finalement tout son sens, et qu’on se sent en face d’une oeuvre qui tient la route.
De là, on peut facilement s’imaginer tout ce que j’attendais de La Révolte. Mais tout s’effondre. Des paysages sauvages dans un grand air virtuel, on passe à un bunker réaliste au décor gris béton, des costumes enflammés, des couleurs extravagantes, des architectures folles, on passe à l’absence de maquillage de Katniss en salopette, Effie avec un bandeau de cancéreuse, une cantine aux allures de pension anglaise dans les années Thatcher. À côté de ça, il doit y avoir 30% du film qui consiste en un champ / contre-champ entre Katniss et la télé. Fini les partenaires insolites, fini les nobles sacrifices, fini l’univers flamboyant d’Hunger Games. Katniss sauve sa soeur qui voulait récupérer son chat, elle tire une flèche explosive sur un vaisseau, on a vaguement un petit tressaillement au ventre, sinon, elle fait des reportages. Cette perte totale de saveur se ressent aussi dans la narration, que je n’aurai pas besoin de dévoiler pour qu’on comprenne ce que je veux dire. Mais au nom de quoi ce brusque basculement? Pourquoi de la magnifique fantaisie de l’Embrasement, on a voulu faire cette tragédie sombre, sociale, le poing fermé sur le coeur? Qu’on comprenne bien que j’accepte d’aller au cinéma pour être émerveillé, mais des objets si fidèles à l’émerveillement comme le fut Hunger Games, ne les faites pas parler au-delà de ce qu’ils peuvent dire : si ça ne les rend pas prétentieux, leur goût s’en va et l’on ressort de la salle avec un goût de cendres dans la bouche.