Avec I Am Somebody, Derek Yee signe une véritable déclaration d'amour aux figurants qu'il a côtoyés pendant de nombreuses années. Basé sur un travail de recherche conséquent durant lequel Yee a interviewé plusieurs centaines d'intermittents, le film nous plonge dans les coulisses de Hengdian, le plus gros studio cinéma au monde. "Chinawood" pour les uns "Est Hollywood" pour les autres, cette "ville" dans la ville, deux fois plus grande que les studios d'Universal et de la Paramount réunies, possède des répliques grandeur nature du Palais Impérial et du Palais d'été ainsi que la plus grande statue intérieure de Boudha.
Chaque année des centaines de passionnés quittent leur foyer pour rejoindre Hengdian, bercés par le doux rêve de pouvoir percer dans le milieu. L'histoire nous permet de suivre l'un d'entre eux, Peng, un jeune homme un peu perdu qui décide de quitter son village natal contre l'avis de ses parents pour tenter sa chance. Une bonne porte d'entrée puisque nous découvrons avec lui toute l'immensité de lieu qui a accueilli 150 productions rien qu'en 2012 dont 48 traitants de la guerre Sino-Japonaise.
En fait le film décolle lorsqu'il dissémine tout ces petits détails sur les facettes cachées de l'industrie. Comme lorsqu'on apprend qu'un rôle de prostituée est payé différemment selon une grille bien précise qui varie en fonction des parties du corps dévoilés. Ou mieux, lorsqu'on assiste directement à de magnifiques mises en abime allant du vieux film historique au film de guerre. Les points de vue se multiplient et le résultat final se mêle habilement à la découverte des artifices employés.
Mais s'il est question d'exploration dans le film, c'est avant tout celle de l'état d'âme de ces hommes et femmes de l'ombre qui composent tous ces magnifiques tableaux. L'ensemble du casting est d'ailleurs composé de vrais intermittents d'Hengdian, soutenus par quelques stars nationales qui ont le droit à leurs petits caméos. Et ça se ressent bien puisqu'il y a une vraie authenticité qui se dégage à certains moments. Doute, précarité, sens du sacrifice, illusions... le film met en lumière les difficultés de leurs vies avec un certain sens du respect. Le problème c'est qu'à force d'élargir le champ de vision et de s'intéresser à beaucoup de monde, on finit vite par saturer tellement le message et les plaintes deviennent redondantes. On sent que Yee a voulu composer avec un patchwork foisonnant, mais finalement, ça devient vite contre-productif. À l'image d'une scène durant laquelle une dizaine d'intermittents clame leur douleur à tour de rôle. J'ai halluciné quand j'ai vu ça. En substance ils disaient exactement la même chose : "C'est difficile, j'ai des rêves, je n'ai toujours pas réussi, mais j'y crois encore". Une pléiade de cris du cœur qui transpirent la sincérité, mais qui nous amène inexorablement à l'overdose.
Pire, durant sa dernière moitié, le film verse dans le mélodrame le plus plat et annihile toutes les connexions qu'on pouvait entretenir avec les personnages. C'est un peu cynique à dire, mais on finit par comprendre pourquoi ils n'ont pas percé tellement le surjeu devient ridicule. Voir un acteur qui court les bras en arrière comme dans Naruto pour embrasser sa prétendante, ça fait son effet, mais certainement celui escompté par le réalisateur... On se doute qu'il y a une part de réalité dans ces montagnes russes émotionnelles, mais la sauce ne prend plus.
Jusqu'à ce que d'un coup, apparaisse dans cette glaise sentimentale la scène la plus magistrale du film. Une nouvelle mise en abime avec Derek Yee himself dans le rôle du réalisateur qui tourne une scène d'un conseil impérial. L'un des acteurs accède enfin au rôle de sa vie, lui qui a tout sacrifié pour vivre son rêve: femme, enfants, travail et maison. Il bénéficie afin d'un rôle parlant : YES ! Il va jouer un grand conseiller : YES ! Il va donner la réplique au rôle principal : YES ! Mais lorsque le moment M pointe le bout de son nez, il reste tétanisé par la peur. Les multiples prises n'y changeront rien, l'échec fut cuisant. Un moment fort qui marque par sa sobriété et sa justesse.
I Am Somebody est assurément perfectible, mais il parvient tout de même à réussir son pari initial; à savoir tourner la caméra à 180° pour dévoiler cette facette de l'industrie. Derek Yee prépare déjà la deuxième salve avec la sortie prochaine d'un documentaire dévoilant les conditions de tournage du long métrage. J'ai hâte.