Monsieur le Procureur, vous, c'est à 180 volts, que vous avez réagi.
Dans un pays imaginaire le président de la république est assassiné lors d'un déplacement officiel. Très vite un suspect est trouvé, mort, et très vite la commission déléguée pour enquêter sur cet assassinat rend son rapport. Coup de théâtre, le procureur Henri Volney refuse de signer les conclusions du rapport d'enquête. Il doute de la théorie du tueur fou et isolé. Il reprend donc l'enquête, tout seul, de zéro.
A moins de vivre dans une grotte ou d'avoir une culture générale au raz des pâquerette, l'assassinat au coeur de l'intrigue fait immédiatement écho à celui, bien réel, du président Kennedy en 1963. La voiture, la typologie, la théorie du tueur fantoche, l'homme au parapluie noir, la disposition des garde du corps lors de l'évacuation, les photos truquées. Le film ne s'en cache pas et dissémine, autant dans son scénario que dans sa mise en scène, de nombreux emprunts et allusions au drame de Dallas. Cependant il ne se limite pas à une simple relecture de l'Histoire puisque ce socle commun ne sert que de levier pour un thriller politico-paranoïaque qui titille notre rapport à l'autorité.
I comme Icare est avant tout un film d'enquête dans lequel on remonte la piste petit à petit, de détails en détails, de coup de bluff en coup d'éclat, de preuve en déduction. Le scénario a l'excellente idée de ne pas montrer le personnage de Volney comme un conspirationniste forcené, c'est simplement un homme de justice dans le doute qui cherche avant tout à combler les failles pour ne pas risquer de n'avoir qu'une vérité partielle.. et partiale. Montand s'impose immédiatement dans ce personnage droit et déterminé. Le charisme, le regard, la fièvre qui le gagne peu à peu. Le spectateur glisse petit à petit avec le personnage dans un engrenage où chaque révélation ne fait que lever une nouvelle énigme.
S'il existe quelques erreurs factuelles (des films amateurs montés par exemple) et que certains détails ont vieillis, la tenue du scénario, déroulé avec minutie, ne laisse rien au hasard. Une histoire captivante et dense que la réalisation s'applique parfaitement à retranscrire.
De la minutieuse récolte d'indices (dans une scène rappelant volontiers le Blow Up d'Antonioni) à l'incroyable séquence de l'expérience de Milgram (leçon de Cinéma à elle seule), Henri Verneuil maîtrise et verrouille parfaitement son sujet. Sa mise en scène glisse du descriptif au symbolique avec un naturel déconcertant. La paranoïa est ainsi : insidieuse. Le spectateur bascule malgré lui grâce à la caméra de Verneuil et au montage, impeccable, d'Henri Lanoë. Dans la lignée des grands maîtres anglo-saxon du suspens (auxquels sont fait des clins d'oeils) le film se fait de plus en plus tendu à mesure que les enjeux se précisent. Jusque dans les dernières secondes, menant à une fin magistrale.
Du doute raisonnable au complot international le film nous dépeint une société froide et déshumanisée. Cette société toute en faux-semblant rappelant autant la France que les États-Unis. Des personnages isolés, dans des costumes ternes évoluent dans des décors gris et désincarnés. Cergy-Pontoise, alors ville nouvelle, offre ici un décor post-moderne aussi familier qu'effrayant.
Le scénario implacable couplé au crescendo irrésistible de la mise en scène finit de transformer la réappropriation du réel en fiction symbolique d'une grande force. La peinture d'un système politique basé sur le mensonge et la dissimulation n'est finalement qu'une toile de fond pour un exercice plus vaste. Bien plus qu'un simple film conspirationniste "I comme Icare" est un essai sur la manipulation au sens large. La manipulation de l'État, celle des individus, celle des images, celle des sons, celle du discours et donc aussi celle du spectateur et du Cinéma.
Un Henri Verneuil inspiré, un Ennio Morricone tragique, un Yves Montand impérial... un grand polar à l'ancienne.
Volney/Montand nous avouera "Vous savez, quand l'imaginaire ne prend pas sa source dans la réalité, ce n'est pas très bon. Il n'y a pas de frisson ou de suspens sans le vrai ou le vraisemblable." faisant ainsi écho au préambule du film, signé Boris Vian. Tout est dit.
Brillant, puissant, marquant.