Difficile de mesurer ce film à Nobody Knows. Sur le fil entre la grâce et le too much. Si on sortait de Nobody Knows lessivé, rincé et net, là le sentiment qui prédomine est incertain. C'est le problème de ce film : le comparer à Nobody Knows est injuste, mais inévitable.
Un petit bouboule, Koichi, vit à Kagoshima avec sa mère et ses grands-parents. Il supporte mal la séparation de ses parents qui fait que son frère Ryu vit à Fukuoka à des kilomètres d'eux avec leur père musicien. La construction d'un TGV entre les deux villes va être l'occasion de se retrouver. Une rumeur dit que si on fait un voeu lorsque les deux premières rames se croiseront, il sera exaucé. Ils vont donc s'organiser à leur façon : gagner de l'argent pour acheter les billets de train, monter des bobards pour sécher les cours et disparaître 24h sans que leurs parents s'en inquiètent, entraînant dans leur expédition leurs meilleurs amis : une aspirante actrice, un petit garçon dont le chien vient de mourir, un autre amoureux de la bibliothécaire de l'école etc.
Si le but du voyage est d'avoir son voeu exaucé, on sait depuis longtemps que c'est la quête qui compte : les enfants rencontrent sur leur route un champ de fleurs, squattent chez un vieux couple qui n'a pas vu sa fille depuis longtemps, et se révèlent, une fois confrontés à la possibilité du miracle.
Kore-Eda sait filmer les enfants, il les aime et les respecte comme de vrais personnages. Des bouffées d'enfance dans les détails : le sac à dos trop lourd qui leur tape sur les hanches quand ils courent, pelotonnés en boule dans le train avec le revers du pantalon qui remonte.
La gourmandise, comme dans tous les films de Kore-Eda : on veut goûter la gastronomie locale (tartare de cheval), on discute sur la qualité des miettes qui restent au fond d'un paquet de chips ou sur le goût du karukan confectionné par le grand-père : incertain, suave ou douceâtre ?
La lumière (voir l'excellente critique de Nushku) vivante : plate au petit matin quand ils fuguent, caressante au coucher du soleil quand ils cherchent un point de vue pour regarder les trains se croiser, éblouissante et translucide au retour quand l'apprentie actrice retrouve sa chambre.
Kore-Eda n'est jamais si délicat que quand il aborde le deuil (symbolique ou réel). Il est ici mis à distance, enfermé dans un sac à dos avec le chien Marble. Mais on y jette un œil régulièrement, par espoir d'un miracle en partie, mais aussi pour se faire à l'idée de vivre avec son poids. Sur un mode mineur du thème, l'histoire du vieux couple qui retrouve dans une des fillettes un écho de leur fille disparue est tout aussi sensible.
Tout cela est là. Mais très légèrement forcé, principalement à cause des deux acteurs principaux, deux frères qui sont comédiens professionnels dans une série télévisée et ça dérange parfois. Un plan m'a particulièrement gênée : au moment où ils se séparent pour rentrer chacun chez soi, les deux frères se disent au revoir, Ryu fait comprendre qu'il doit partir et Koichi lui fait un signe de tête et de menton entendu ("vas y, je comprends") façon Angelina Jolie dans un film d'Eastwood. Et je lui en veux. Tant d'exigence parce que Kore-Eda a mis la barre très haut dans ses précédents films.
Le film est comme le karukan. Kore-Eda dit l'avoir dédié à sa fille de 4 ans; comme lui, on a envie de le recommander aux enfants, aux adultes, c'est incertain.