A première vue Ichi the killer est un film de Yakuza semblable à bien d’autre, trainant derrière lui une simple histoire de vengeance entre gangs ennemis. Une course poursuite sanguinolente à la recherche du patron de l’un des gangs disparu avec tout un pactole en poche. Rien de bien novateur si l’on se réfère à l’unique surface de la bobine. Elle parait un peu plus violente qu’à l’accoutumée, certes, mais rien ne laissait présager un tel chaos, à une folie sanguinaire aussi incarnée et iconique (parfait Kakihara), qui parfois dépasse les déviances les plus malsaines. Comme chez Takeshi Kitano, le Yakusa est une personne à part, un être aux multiples facettes avec des émotions aussi taciturnes qu’exacerbées.


C’est en cela que l’œuvre de Takashi Miike sort du lot en se réappropriant cet univers féroce et enragé. Ichi the killer se projette comme une affaire de souffrance qui prend les allures d’un poème mortifère écrit avec le sang. Comme Crash de David Cronenberg ou Salo ou les 120 jours de Sodome de Pasolini, Takashi Miike parle du désir de la mort, la meurtrissure du corps humain, de l’impuissance devant la folie, d’une ambiguïté qui s’excrète par tous les pores de la peau et qui jaillit par une violence protéiforme.


Ichi the killer est une parabole sadomasochiste qui prend deux points de vue différents : le plaisir qui se mêle à la souffrance de celui qui reçoit les coups face à la culpabilité et la libération cathartique de celui qui les donne. Kakihara (le jumeau du joker de Batman en version nippone) contre Ichi : un combat acharné à distance, un choc que tout oppose. D’ailleurs cette ambiance oppressante gicle de tous les côtés, notamment par la reconstitution d’un environnement japonais où le sordide se définit comme un quotidien.


Ichi the Killer n’arpente pas le même Tokyo que celui de Charlotte ou Bob Harris dans Lost in Translation mais rejoint plus celui mis en exergue dans A Snake of June de Shinya Tsukamoto (machiavélique Jiji) ou dans Guilty of Romance par Sion Sono où les femmes ne sont que des putes tel un symbole de sexualité refoulée et où les hommes ne sont que des êtres fébriles se fourvoyant dans la brutalité. Cette fois ci, les quartiers se font plus étroits, les lieux plus sordides et hallucinés, la couleur bleutée agitée par une mise en scène toute en rupture de cadres et de mouvements s’estompe pour laisser vivre des endroits inhabités par l’humanité.


Si parfois la mélancolie et la dramaturgie entrouvrent les portes du récit, Takashi Miike n’explore jamais la fécondation de ses thématiques par la simple utilisation du sérieux. Comme dans Visitor Q, le réalisateur nippon vocifère sa rage par le mélange des genres et des sensations passant alors de la frayeur la plus totale au mauvais gout assumé : comme en témoigne cette scène où un des deux jumeaux sent la chatte de l’une de ses victimes pour trouver la trace, par l’odeur, de l’un de ses ennemis alors que quelques minutes auparavant l’autre jumeau avait coupé les seins de la même victime.


Chez Takashi Miike, le sordide s’observe par l’absurdité de la situation, autant par le sang que par le sexe, qui est en corrélation avec l’ignominie de l’acte en lui-même. Mais ce processus d’écriture n’a jamais pour but de désamorcer ou de diminuer l’impact de la violence, mais au contraire, de la conforter dans sa banalité si grandiloquente. Comme pour mieux cacher ses coups et le parpaing sadique qu’on prend en pleine face même si la gratuité de certaines séquences pleines en hémoglobines amenuise la puissance viscérale de l’œuvre.


Et même si parfois Ichi the Killer s’embourbe dans un rythme en dent de scie, avec une direction d’acteur parfois chancelante où le ridicule ne tue pas, Takashi Miike touche la cible avec force et crée un univers unique en son genre où les couleurs criardes qui giclent de toutes parts sont en concordance avec l’esprit ténébreux qui habite ses protagonistes.

Velvetman
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le 17 août 2016

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Velvetman

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