Réalisé dans la foulée de La strada, et son énorme succès aussi bien critique que public, Il bidone fut au contraire l'un des films les plus mal-aimés de Federico Fellini. Et pourtant cette fable plus tragique que comique portée par un trio d'escrocs minables et amoraux est un chef-d'œuvre de plus à ajouter à l'incroyable filmographie du cinéaste italien.

A l'instar des films de ses collègues Roberto Rossellini (dont Fellini fut assistant) ou Vittorio De Sica, Federico Fellini eut également maille à partir avec la critique et la censure d'alors. Dans une Italie alors en pleine reconstruction, aux balbutiements du miracle économique, nommé Il boom, des films comme Umberto D, Europe 51 ou ce fameux Il bidone avaient le malheur aux yeux de nombre de leurs contemporains de dresser un portrait de leur société peu flatteur. Ainsi, la version intégrale du quatrième film de Fellini ne fut pas toujours celle proposée car les producteurs avaient exigé de nombreuses coupes suite à sa diffusion à la Mostra de Venise en 1955 où il fit tout de même un bide... On s'éloigne ici en effet de La strada et de son optimisme pour un véritable film noir qui pourrait être vu comme une suite aux Vitelloni (1953) où Fellini suivait une bande d'« adulescents » déclassés, chômeurs veules et fainéants... Les jeunes adultes ont ici pris de la bouteille mais sont encore plus minables que leurs cousins de Rimini. Tels des anti-Robin des bois, les trois lascars interprétés avec brio par Broderick Crawford (acteur alcoolique déclassé d'Hollywood), Richard Baseheart (qui avait crevé l'écran dans le rôle du fou dans La strada) et Franco Fabrizzi (déjà présent dans Les vitelloni) sont des arnaqueurs de petites gens, profitant de leur crédulité et de leur ignorance.

REMONTER LA PENTE

Tour à tour déguisés en prêtres ou se présentant comme des représentants municipaux, ce gang en soutane (l'un des titres français) tombe un peu plus dans l'ignominie au fur et à mesure de leurs forfaitures admirablement mises en scène et scénarisées par le duo Flaiano-Pinelli. Avec sa vison d'un néo-réalisme cynique et peu aimable envers ses « héros », Fellini signe tout simplement l'un des meilleurs films d'arnaque, lorgnant peu à peu vers le film noir. Il est d'ailleurs peu surprenant de constater l'adoration de Martin Scorsese pour le maître italien tant ses grossiers personnages de Mean Streets ou Les Affranchis font songer à ces « mauvais clowns de l'âme » (dixit Fellini).

Film âpre, plaçant le spectateur dans l'étrange position du complice d'abord bienveillant puis révolté, Il bidone, comme dans Les Nuits de Cabiria, laisse toutefois espérer une sorte de rédemption pour ses protagonistes. Ici, le personnage de Picasso la trouvera dans la personne de sa femme, jouée par l'inoubliable Giuletta Masina, qui malgré une courte présence à l'écran frappera de nouveau, et comme toujours, la mémoire. Le chef de la bande, incarné par Crawford qui obtient ici le rôle de sa vie, pensera également pouvoir remonter la pente (au sens propre comme au figuré) grâce à deux « anges ». Tout d'abord sa fille jouée par Lorella De Luca (aperçue dans les Ringo de Tessari) et enfin une paralytique acceptant son sort rencontrée lors de l'ultime « bidone » (arnaque en italien). Seul le personnage joué par Fabrizzi (qui durant toute sa carrière jouera des personnages veules, vicieux, arrivistes, tout simplement détestables) semble se délecter de son « métier ».

Doux-amer, peuplé de personnages détestables, Il bidone ne caresse pas son spectateur dans le sens du poil et le final, tragique et pathétique, ne sauvera personne. Rarement aussi malveillant envers ses contemporains, Fellini en paiera le prix avec l'échec du film. 70 ans plus tard, force est de constater qu'on a pourtant affaire à l'un des films les plus forts de son auteur, magnifiquement secondé par l'excellente composition musicale de Nino Rota et la sublime photographie d'Otello Martelli.

Retrouvez l'évaluation de la partie technique du Blu-Ray sorti chez Sidonis par ici : http://www.regard-critique.fr/rdvd/critique.php?ID=7203

SB17
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le 9 déc. 2022

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