Dans Amadeus, Milos Forman prenait déjà le parti de Salieri, un compositeur écrasé par l’ombre du génie de Mozart : Il Boemo procède de la même manière, à la différence que le récit sera entièrement dédié à Josef Myslivecek, compositeur très en vogue de la fin du XVIIIème siècle, qui pourrait avoir influencé le jeune Mozart qu’il côtoya, et tombé dans l’oubli de la mémoire collective après sa mort à 46 ans, rongé par la syphilis et les dettes.
Le film est donc avant tout l’occasion d’écouter la musique d’un grand nom, ce dont ne se prive pas Petr Václav, qui laisse les œuvres s’épancher sur la longueur, attentif à la direction du compositeur, et surtout à l’effort physique de cantatrices entièrement dévouées à leur performance : visage tendu autour du chant, sueur, gestion du souffle, pour offrir ce qui sera salué comme « divin » et, un sens, supra humain par l’assemblée des spectateurs.
C’est là l’un des enjeux du récit que de travailler cette ambivalence autour du statut des artisans de l’art musical, adulés sur la scène, mais souvent méprisés, et toujours considérés comme étant au service du lustre social des puissants. Václav insiste beaucoup sur la lutte des influences, la nécessité de trouver un protecteur, et le fait que ces affaires se règlent la plupart du temps dans les bacchanales de privilégiés se vautrant dans la débauche. L’ouverture, qui voit Myslivecek au soir de sa vie, ôter un masque sur un visage ravagé par la syphilis, annonce un motif central : celui de l’ornement, et du masque posé sur des mœurs délétères, dans une époque qui navigue entre les ors du spectacle et des réalités bien plus brutales. Le film, de ce point de vue, abandonne le vernis du pur biopic d’époque pour investir la violence et les zones d’ombre d’un monde sans pitié, où la vulgarité (toute la scène du roi déféquant devant son sujet) côtoie la brutalité la plus frontale, notamment dans l’alinéation d’individus possédés par les plus puissants, que ce soit leur mari ou un commanditaire.
On décèle ainsi, dans la performance de la musique, une amertume, voire un esprit de revanche qui sera particulièrement bien rendu dans une séquence centrale où le compositeur porte à bout de bras une cantatrice submergée par sa haine pour l’auditoire, et qu’il lui impose de rediriger contre ceux qui la méprisent.
Ceci explique aussi sans doute la teneur d’un récit qui ne sacrifie pas à la grandiloquence lyrique, et peut s’avérer mal aimable dans certaines gestions du rythme ou la platitude apparente de certaines séquences. Václav épouse en réalité la ligne directrice de son protagoniste, qui apprend progressivement, notamment sur le conseil de la seule femme qu’il aura jamais aimée, à délaisser les grands effets de mode et les exigences des chanteurs souhaitant faire valoir leurs performances vocales, pour s’épanouir vers une musique plus sincère et habitée. Dans le froid d’espaces trop grands, à la lumière de bougies luttant mal contre l’obscurité, Il Boemo raconte la vie laborieuse d’un grand, contraint de se faufiler douloureusement par les portes basses d’un monde étroit, qui l’exploite sans réellement le comprendre.
(7.5/10)