Avant de réaliser L'empire des sens, Nagisa Ôshima avait déjà recours à des artifices sulfureux pour tenter d'étayer un propos qui se veut éminemment politique. Il est mort après la guerre raconte l'histoire d'un film laissé en guise de testament par un jeune étudiant qui s'est suicidé en se jetant du haut de son immeuble. A travers ce court-métrage, dont le contenu est désespérant par essence car il ne montre rien qui puisse laisser un quelconque indice sur l'origine de son acte, Motoki, témoin de la mort de Endo et Yasudo, petite-amie de celui-ci vont chercher quitte à mutuellement se perdre la signification du suicide, de leur vie, et des paysages dont le calme contraste avec l'apparition subite de la mort.
Il est mort après la guerre possède probablement l'une des constructions narratives les plus intéressantes qu'il m'ait été donné de voir. La mise en abîme, constante pour le spectateur se voit complexifier par la remise en cause permanente des bases de l'histoire : Endo est-il réellement mort ? Qui sont les morts, Motoki, Yasuko ou Endo, dont l'existence même est à la fois questionnée derrière l'écran, et pas les personnages de l'histoire ? Est-ce que la mort est-elle même créatrice de non-existence", en effaçant l'évènement que fut toute une vie, comme se plaît à le répéter Motoki ? Les élans métaphysiques sont bel et bien là, assortis par une photographie sublime qui donne à voir un noir et blanc dont le contraste, qui est du plus bel effet permet de se focaliser tour à tour sur l'expressionnisme affiché par le visage de Motoki d'un côté, la passivité dans le regard absent de Yasuko d'un autre.
Les question sont multiples, à la fois fortes et brouillonnes dans leur enchevêtrement. La problématique du cinéma en tant que vecteur performant est explicitée de façon presque nihiliste dans le symbole que représente le film laissé par le suicidé à sa mort : si cela ne représente rien, ne sert à rien, à quoi peut bien servir le cinéma ? Si, dans le ciné-club des étudiants marxistes dont font partie Motoki et Yasuko le vol d'une caméra ne parvient pas à mobiliser les intellectuels du domaine, à quoi servent les luttes ? Constituent-elles un coup d'épée dans l'eau ? Est-ce que le cinéma possède une sorte de vanité endogène ?
Le vertige de la forme et du fond est exploité jusqu'à l'outrance, à tel point que, malheureusement, on ne passe pas à côté de l'écueil à caractère structurel que possède tout film qui se veut intellectuel, profond, mais quelque part trop profond pour pouvoir être accessible, à tel point que l'on ne peut s'empêcher de se demander s'il n'y a pas arnaque dans les aspects policés de la fiction. La Japonaise, éternellement soumise qui se fait sans cesse violée, par un, deux, quatre hommes au total en silence, sans trop protester. Comme un cadavre inanimé. Parce que c'est choquant, ça fait parler derrières les panneaux en papier de riz. Révolutionnaire ? Très peu, ou autrement il aura au moins fallu montrer les parties génitales, ce qui était formellement interdit, et l'est toujours sans une certaine mesure au regard de la pilosité.
Il est dommage de constater que cet exercice de force qui produit un ensemble consistant malgré la remise en cause perpétuelle des perspectives narratives propres au genre, comme le fait quelque part l'art contemporain dans d'autres domaines manque de jusqu'au boutisme dans le caractère politique. En ça, oui, le cinéma montré par Il est mort après la guerre est probablement trop bourgeois à mon goût.