Avant d’attaquer véritablement cette critique il est inévitable pour moi de rappeler la relation que j’ai avec ce film, les lascars de ma génération sauront certainement de quoi je parle, car il était une fois où la télévision nous réservait quelques surprises, à 8 ans âge où mon attention était surtout réservée au Club Dorothée, à peine dépucelé par les agents Mulder et Scully de X-Files et du Crypt Keeper des Contes de la Crypte j’allais découvrir la peur, enfin le traumatisme, et indélébile de surcroit. Un soir de 1993 cette bonne vieille chaine de M6 (la base dans les 90s) diffusait donc un téléfilm intitulé Il est revenu en nous vendant un clown tueur d’enfants, en prime-time messieurs dames, époque où on ne ménageait pas les gosses comme maintenant sous prétexte d’être choqué par le poids des images, comme si internet n’avait pas depuis pointé le bout de son nez. Je me suis donc retrouvé seul devant quelque chose que je craignais et m’excitait en même temps, totalement aspiré par l’histoire de cette bande d’enfants chassant dans leur petite ville une entité maléfique prenant la forme de leurs peurs les plus profondes ... jusqu’à ce que ma mère m’ordonna sans sommation en plein milieu d’aller me pieuter, j’ai donc du attendre la rediffusion du téléfilm deux ou trois ans plus tard pour enfin voir la suite, rendez vous compte. C’est pour cela qu’entre temps la lecture de la trilogie de Stephen King soit devenue pour moi une priorité absolue, enchainant également sur son Shining, autre choc de mon enfance grâce au film de Kubrick, forgeant sans doute mon goût pour l’horreur et le fantastique. Un morceau de choix donc.


Difficile d’adapter le roman de King, 1500 pages à l’univers fourni de diverses représentations cauchemardesques, allusions sexuelles très crues ou violence gore accentuée, cinq ans après sa publication Tommy Lee Wallace (pur réalisateur de commande à qui l’on doit Halloween III et Vampire, vous avez dit Vampires ? II) se voit confier le projet de mettre tout ça sur pellicule, avec comme contrainte de dégraisser l’intrigue pour tenir sur trois bonnes heures un rendu télévisuel programmé pour un public plus ou moins averti, en gros se soustrayant à la censure. Je ne chercherai donc pas nécessairement à comparer le film et le livre, ce n’est pas le but, surtout que mes souvenirs de lecture restent lointains, d’ailleurs ce long métrage fut reconnu par la critique comme une adaptation plutôt fidèle, ce que je valide plus ou moins. Je précise aussi le choix pour ce dernier visionnage de la version française d'origine (exit la version DVD redoublée de 2003), par simple soucis de nostalgie, ne m'en veuillez pas.


La ville de Derry se retrouve en proie à la disparition d’enfants dans un climat d’indifférence étrange, Mike Hanlon le bibliothécaire du coin s’arme de son téléphone pour prévenir ses amis d’enfance que Ça est de retour, surpris et surtout paniqués chacun se rappellent à des souvenirs qu’ils auraient aimé oublier, au bord d’un étang ils s’étaient fait la promesse de rester unis face à l’innommable et que si la chose refaisait son apparition ils la combattraient à nouveau.


Le téléfilm est coupé distinctement en deux parties d’environ 1h30 chacune, la première est constituée de flashbacks où l’on nous présente les membres du club des paumés et leur lutte contre Ça à la fin des années 50, puis une seconde sur leur retour à Derry 30 ans plus tard. L’histoire débute par le meurtre d’une petite fille, le fameux clown est introduit directement dans l’intrigue, de ce fait le mal est identifié pour provoquer un choc d’entrée et enclencher ensuite la psychose rétroactive des adultes, personnellement je pense que le choix de montrer son apparence (du moins sa forme secondaire) dans les premières minutes reste un tantinet hâtif, il aurait été plus judicieux de ne dévoiler qu’une ombre ou de le dissimuler quasi entièrement derrière les draps étendus. Car j’imagine que sa seconde apparition lors de la séquence de la mort de Georgie pouvait rendre quelque chose d’encore plus surprenant et flippant, mais ce qui est intéressant dans les deux cas c’est que le clown surgit comme une représentation ingénue du regard de l’enfant, qui est confirmé par le fait que les adultes ne peuvent voir les phénomènes paranormaux attachés à sa présence, comme l’album photos dégoulinant de sang, rendant le meurtrier implacable, leurrant à sa guise les autorités de la ville. King s’est d’ailleurs librement inspiré pour le monstre de son livre du tueur en série John Wayne Gacy, connu pour avoir assassiné dans les années 70 une trentaine de jeunes garçons sous les traits d’un clown pour hôpitaux, les victimes furent retrouvées dans le vide sanitaire de sa maison, sans doute pour cela, par analogie, que l’antre de Ça se trouve dans les égouts de Derry. L’origine de Ça reste tout de même assez évasive dans le film (contrairement au roman qui le définit comme un extraterrestre préhistorique), la créature sévit depuis des siècles, dévorant les enfants pour ensuite hiberner durant 30 ans, son pouvoir relève de ses lueurs mortes, un force rayonnante hypnotisant ses victimes tout en prenant l’apparence de leurs névroses les plus intimes.


Le club des paumés se constitue de sept personnages (se dénommant également les sept veinards) : Bill Denbrough (Billy le bègue) frère d’une des premières victimes de Ça durant l’été 58, Ben Hanscom (Meule de foin) orphelin de son père mort pendant la guerre de Corée, Beverly Marsh (Bev) vivant seule avec son père violent dans le quartier pauvre de Derry, Richie Tozier ("Bip Bip" Richie) joyeux luron de la bande, Eddie Kaspbrak (Eddie Spaghetti) l’asthmatique éternel materné, Stanley Uris (Stan) le scout juif rationaliste et Mickael Hanlon (Mike) passionné par l’histoire de la ville dans laquelle il vient de déménager. Tous seront confrontés chacun leur tour à Ça sous différentes formes, et c’est dans leur union que le monstre va dès lors commencer à les craindre, le livre de King parle d’une cohésion mystique grâce à un rituel ancestral appelé Chüd, dans le film il n’est que sous-entendu et davantage spontané, consistant à former un cercle à ne pas rompre pour canaliser une sorte d’énergie répulsive. De plus la culture populaire joue également un rôle dans l’entreprise de destruction du monstre avec l’idée de Richie d’en venir à bout en lui tirant dessus avec des balles en argent comme dans les films de loup-garou qu’ils voient au cinéma de quartier Paramount, "un boulot pour Bev" qui s’avérera être l’as du lance-pierre du groupe. Les paumés sont également confrontés au trio terrible mené par Henry Bowers, des petites frappes terrorisant la cour du collège, leur implication dans l’histoire n’est certes que secondaire mais participe à ce climat de pré-adolescence tourmentée par les rapports de forces, la séquence de la bataille de cailloux symbolise d’ailleurs l’alliance fraternelle face à l’adversité, un entrainement avant le combat qui les attend. D’un commun accord ils décident de franchir le pas pour s’enfoncer dans les égouts afin de débarrasser la ville du tueur d’enfants, certainement le meilleur passage du film car terriblement passionnant en terme d’immersion horrifique, l’ambiance est résolument sombre et angoissante, de plus l’émotion est bien présente vis à vis de l’attachement que l’on a pour les personnages.


On relèvera évidemment la prestation inoubliable de Tim Curry, acteur habitué aux transformations diverses et variées comme en travesti dans The Rocky Horror Picture Show ou en seigneur des ténèbres pour Ridley Scott dans Legend, son rôle de clown diabolique aux crocs acérés traumatisera toute une génération, à juste titre, chacune de ses apparitions font mouche pour inspirer l’effroi, le doublage français de Jacques Ciron est également digne de passer à la postérité. Les jeunes comédiens ne sont certes pas parfaits (à l’exception de l’excellent Seth Green) mais fort heureusement sauvés par la richesse d’écriture de leurs personnages, hormis les rôles de Stan et Mike chacun dispose d’une part d’exposition suffisante pour avoir une carte à jouer dans le scénario, le découpage est ainsi fait pour assimiler leurs particularités et ainsi créer une alchimie cohérente, car Ça est avant tout une histoire d’amitié indivisible. Tommy Lee Wallace ne reste quant à lui qu’un metteur en scène de seconde zone, le format téléfilm est clairement visible, même si les efforts demeurent néanmoins admirables pour ce genre de production au budget (sans doute) limité, les reconstitutions des années 50 sont d’ailleurs fidèles avec un brin de mélancolie, suffisant pour fournir l’ambiance souhaitée, les flashbacks entre les deux époques fonctionnent très bien avec parfois des raccords astucieux. Pour ce qui est des effets-spéciaux il est clair que le film a pris un petit coup de vieux, certains stop-motions criards font tâches mais le degré artisanal pour ce qui est du reste ajoute un charme plutôt confortable pour les aficionados des séries B d’horreur des années 80, de plus il est appréciable de constater ce travail en terme d’épouvante, l’histoire est davantage mise en avant, contrairement à la panoplie d’effets type jumpscares & co que l’ont utilise désormais sans scrupules.


La seconde partie réservée au retour des paumés 30 ans plus tard débute par le suicide de Stan, visiblement trop perturbé à l’idée de se confronter au monstre de son enfance, le reste de la troupe répond bel et bien à l’appel lancé par Mike et vont chacun leur tour faire de nouveau face à Ça mais aussi à leur propre passé, totalement désarmés et impuissants devant l’abnégation de la créature ayant retrouvée ses forces. Cela démontre à quel point leur unité est importante, seuls ils ne restent que des proies faciles, psychologiquement parlant ici, leurs peurs ont évoluées et Ça arrive à en tirer profit pour tenter de les faire fuir, les vieux fantômes ressurgissent, le but étant de retrouver cette aura perdue que le passage à l’âge adulte a annihilé. Cette partie peut sembler moins captivante que la première (et elle l’est d’un sens), mais ce qui est intéressant c’est de constater à quel point le devoir et les responsabilités restent friables face aux stigmates du passé, ce que les grandes personnes refusent de croire, pour devenir ce qu’ils réfutaient durant cet été 58. Et ce que le scénario n’oublie pas c’est que Bill lui-même est resté le moins enclin à passer le cap de la maturité, très bien représenté lors de la scène de la vision de son enfance à la sortie de l’hôtel, très mélancolique et admirablement bien intégrée, là où tout semble perdu la cohésion est retrouvée; ce que j’aime vraiment dans ce film (surtout aujourd’hui) c’est cette idée que malgré le temps qui passe les souvenirs restent encrés pour ressurgir et provoquer une nouvelle dynamique, revenir aux sources pour réparer les erreurs.


Ce que je reprocherais justement à cette partie c’est de ne pas assez insérer les flashbacks inédits pour faire corps, car on remarque un manque de consistance par rapport à la première qui disposait en elle d’une fluidité assez maitrisée, on finit par ne plus avoir conscience des enjeux pour les voir débouler malgré eux, comme le come-back d’Henry Bowers qui ici n’a d’utilité que d’être un objet express au service de Ça. La réminiscence s’établit parfois de manière insensée pour appuyer un sentimentalisme malvenu, je pense notamment aux personnages de Beverly ou Eddie, avouant des choses qui n’ont ni une réelle importance ni une profonde authenticité, preuve d’un dégraissage scénaristique avouant quelques limites malgré tout, il arrive au film de tomber dans des poncifs typiquement téléfilm. Ce qui est dommage car l’acte de désinhibition des névroses pouvaient être retranscrit autrement que par des clichés narratifs, même si de manière générale ces retrouvailles d’anciens camarades sonnent plus ou moins justes dans leur désir de se rassurer par l’ironie de situation et surtout de s’accrocher à leur univers tangible, leur modèle de réussite exempt d’innocence perdue. La dernière demi-heure est quant à elle autant séduisante dans sa redite que maladroite dans son déballage, beaucoup de choses se déroulent dans un temps très réduit, accouchant d’un rendu à la limite du nanardesque (d’ailleurs l’incrustation de l’araignée géante, forme première de Ça, pique les yeux), le degré fantastique éludé durant un certain moment nous explose à la figure tout d’un coup et le background se retrouve étonnamment à la traine et résolument low-cost, suffisant pour décrédibiliser plus ou moins l’histoire en elle-même. Cependant la séquence finale, fidèle au roman de King, conclue magnifiquement le film grâce à sa puissance émotionnelle et symbolique, détruire définitivement le mal par la superstition, retrouver son âme d’enfant pour faire la paix avec soi-même.


Ça est un téléfilm qui m’aura évidemment beaucoup marqué étant enfant et qui reste encore aujourd’hui un plaisir à revoir, malgré ses petits défauts techniques et sa mise en scène instable je garde une tendresse avérée vis à vis de cette histoire, ses personnages et surtout l’émotion (en tout genre) qu’il me procure. Ce sentiment de peur délicieusement pervers que j’aime titiller et qui fonctionne sans forcer tellement il demeure ancré dans ma mémoire, cette vision du visage du clown à travers la bouche d’égout, dans les douches, le ballon rempli de sang qui éclate dans le lavabo, etc, juste traumatisant, inoubliable et culte.
Pas sûr que la nouvelle adaptation cinéma de Muschietti (prévu pour fin 2017), également en deux parties, parvienne à surpasser cette version, si ce n’est qu’elle mette en lumière des points éludés du roman de Stephen King qui méritent de l’être, avec un ton plus cru et violent tout en gardant cette ambiance si particulière. Flotterons-nous à nouveau dans les lueurs mortes ? Ça attendra …


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le 26 août 2016

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JimBo Lebowski

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