Dès les premiers plans, le contrepoint est posé : on sera loin, en effet, des déserts spaghettis de Sergio Leone et les ostinatos obsédants d’Ennio Morricone sont remplacés par le tintement mélodieux et cristallin d’une église orthodoxe, dans un paisible village de Russie, sur les rives d’un fleuve. D’une carte postale à l’autre... Un bel automne russe, lumineux.
Loin de prendre racine dans cette sédentarité, le scénario s’embarque sans tarder dans un mouvement constant : celui du gros camion conduit par le mari (Egor Barinov) de Tamara (Maria Semyonova, déjà vue en 2004 dans « La Chute », de Oliver Hirschbiegel). Au premier virage, la cabine du conducteur accueille rapidement Anna (l’actrice et chanteuse Kristina Schneider). La réalisatrice russe Larissa Sadilova, qui est également scénariste, monteuse (avec Gleb Dragaytsev) et coproductrice de son septième long-métrage, semble s’amuser à nous conter une histoire presque sans paroles, qui dévoile l’adultère lorsque le couple légitime apparaît et que le mari d’Anna (Youri Kiselev), visiblement torturé par le doute et les soupçons, conduit sa femme au car qui est censé l’emmener jusqu’à Moscou. Longs plans muets sur le visage d’Anna, emportée par le mouvement du car ou du camion, sur fond de paysage qui défile, ou sur le conducteur concentré, mais traversé par les divers états affectifs qui vont le pousser à l’action ; ou à l’inaction.
Une situation de marivaudage classique, en somme, puisque l’épouse du camionneur, voisine du mari trompé, est ravagée par les mêmes tourments que l’amoureux malheureux. Mais le traitement du thème est éminemment original, tant il apparaît bien vite que le duo clandestin et, par force, constamment mobile, est en réalité enserré - hormis quelques brefs moments de complicité sensuelle - dans une étrange fixité, une forme de pétrification qui empêche ce couple d’être véritablement vivant. À l’inverse, et de façon symétriquement logique, les deux couples légitimes semblent chacun irrigués d’une vie dont le quotidien n’a pas figé la circulation, voire l’intensité. À tel point que l’on peut en venir à se demander ce que les deux infidèles allaient chercher ailleurs...
Une réflexion à contre-courant de ce qui se dit si souvent sur l’adultère et sur le couple légitime, et qui s’enchante au contact de la lumière slave et des saisons successives qui, par grandes ellipses, accompagnent la vie du couple central. Des figures latérales, aussi, plus ou moins longuement côtoyées, telle cette babouchka infiniment touchante, miniaturisée comme une poupée russe, et qui délivre à l’héroïne de grandes leçons rieuses sur le couple ; ou ce petit groupe heureux de jeunes filles dans un parc, riant sagement sous les frondaisons traversées de soleil, à l’occasion d’une fête nationale.
Autant de visages kaléidoscopiques d’une même âme, croquée soit à travers l’intimité de ses drames soit dans ses éclats plus brefs ou superficiellement collectifs.