Tu vois, le cinéma se divisent en deux catégories : les oeuvres immortelles et le reste.

Une injustice entoure le genre du western : il a toujours divisé le public.

La plupart des intellectuels se moquent de la lenteur des intrigues et de la brutalité des personnages, tandis que le jeune public s’identifie aux héros, ces braves gaillards capables de sauver la veuve et l’orphelin pour une poignée de dollars voir un simple baiser.

Dans l’histoire du cinéma un fait subsiste : le premier film à scénario est un western, le fameux The Great Train Robbery sorti en 1903. Il faut savoir qu’à l’époque le public, trop effrayé par les images, se couchait instinctivement pour éviter les balles durant la projection du film.

Le western c’est avant tout la représentation d’une époque : la conquête glorifiée des États-Unis par des colons européens avides de richesses, mais aussi de libertés, pour former le plus grand Empire qui n’est jamais existé dans l’Histoire.

Il était une fois dans l’Ouest ne renie pas ce double héritage historique et cinématographique, mais va le porter et poser son empreinte dans l’histoire du cinéma en forgeant sa propre légende.

Un grand film commence souvent par une scène d’introduction qui captive l’attention du spectateur. Il était une fois dans l’Ouest peut se targuer d’avoir une première scène restée dans les mémoires, mais qui réussit le coup de maître de retenir notre attention en ne montrant pas grand-chose.

Sous un soleil de plomb trois homme après avoir enfermé le chef d’une gare attendent un train, mais pas un son n’est échangé. Le spectateur est maintenu en alerte par le bruit de l’éolienne, du bourdonnement de la mouche, du craquement du rocking-chair. Le silence est aussi lourd que la chaleur qui les accable. Il doit se passer quelque chose. Puis on entend enfin le train.

Le cœur du spectateur s’emballe. Qui les bandits attendent-ils depuis plus de 5 minutes ?

Ils se rapprochent et forment un demi-cercle menaçant. Mais, personne ne sort du train qui repart très lentement. Les bandits sont sur le point de partir. Le spectateur est interloqué. Soudain, un harmonica se fait entendre. Les bandits se retournent et un personnage mystérieux apparaît, jouant de ce fameux harmonica. Son regard est dur et ses yeux perçants. Il arrête de jouer et la musique du film débute. Il échange quelques paroles avec son comité d’accueil. On comprend qu’il cherche un fameux Frank. Les 3 bandits sourient et expliquent qu’il les a « envoyés à sa rencontre » et se moquent de lui. Lui ne plaisante pas. Il sort une réplique cinglante : « Je vois deux chevaux qui ne sont à personne ». Les visages se crispent. Les mains se rapprochent des revolvers. L’inconnu dégaine et les abats, mais reçoit un tir. Il s’écroule.

10 minutes de leçon du cinéma.

Cette scène d’anthologie, on la doit à Sergio Leone, qui n’en est pas à son premier fait d’arme.

Ce réalisateur italien est une figure emblématique du western à qui il a redonné ses lettres de noblesse. Il est pourtant lassé du genre et souhaite vaquer vers de nouvelles horizons. Il était une fois dans l’Ouest sera son dernier western.

Grâce à la première scène il établit un contrat avec le spectateur : sa gestion du temps sera étirée au maximum. Il veut reproduire le rythme d’une conversation de rue en utilisant le plus souvent possible, le silence, reprenant ainsi les attributs du cinéma japonais qu’il aime tant :

On écoute. On réagit. On réfléchit. Et après, on répond. Il y avait longtemps que je voulais donner ce rythme à un film.

Le scénario de Il était une fois dans l’Ouest est d’une grande simplicité. L’inconnu, qu’on appellera « l’homme à l’Harmonica » cherche à retrouver Frank, tandis que des luttes autour de l’arrivée prochaine du chemin de fer vont entraîner la montée progressive de la violence dans la ville fictive de Flagstone dans l’Ouest américain. Pourtant le film dure plus de 2 h 45. Comment maintenir en éveil le spectateur ? Grâce à une réalisation pleine d’intelligence et d’ingéniosité, et des acteurs formidables que Sergio Leone a lui-même sélectionnés.

  • L’homme à l’Harmonica (Charles Bronson) : pourtant habitué à des rôles virils dans des seconds rôles, Bronson est parfait pour tenir le rôle d’un personnage énigmatique, peu enclin à la parole et dont le regard bleu d’acier met Clint Eastwood à l’amende.
    Il passa tout le tournage à l’écart du groupe, comme pour accentuer son rôle.

  • Frank, le tueur (Henry Fonda) : quel coup de génie de la part de Leone de choisir Henry Fonda, figure de justice et de bienveillance tout au long de sa carrière d’acteur, pour le faire jouer le rôle d’un véritable salopard, qui prend beaucoup de plaisir à commettre les pires atrocités.

  • Cheyenne, le bandit (Jason Robards) : campant le rôle d’un brigand au grand cœur, Robards prouve sa palette complète de comédien de théâtre et ses yeux noirs joue habilement entre la fureur du hors-la-loi et l’attendrissement lorsqu’il tombe amoureux du personnage central de l’intrigue.

  • Jill McBain, la pionnière (Claudia Cardinale) : pour tenir la dragée haute aux trois acteurs principaux, tous plus imposants les uns que les autres, il fallait une sacrée actrice. Claudia Cardinale livre une performance solaire, et son regard a fait fondre plus d’un spectateur. Son personnage est le pilier du film : une ancienne prostituée qui part rejoindre son mari à Flagstone et qui va user de tous ces atouts pour survivre dans l’Ouest impitoyable.
    Elle est au centre de l’intrigue et la palette de Cardinale est phénoménale pour nous plonger au départ dans la détresse d’une femme qui découvre avec horreur sa nouvelle vie (elle retrouve sa nouvelle famille assassinée), puis qui va petit à petit tenter de faire prospérer sa ferme proche de la seule source d’eau de la région, tout en essayant de survivre à la fin d’une ère : la fin de la ruée vers l’or et le début de l’industrialisation.

Pour en revenir à la réalisation de Leone, un point que je trouve particulièrement intéressant est l’utilisation assez inventive de la lumière. Je pense particulièrement à la rencontre entre Cheyenne et l’homme à l’Harmonica. Alors que le thème de l’Harmonica retenti (une autre trouvaille géniale de Leone qui utilise une musique pour chaque personnage comme dans une pièce de théâtre), Cheyenne se déplace lentement et aperçoit à gauche du plan tapis dans l’ombre, Harmonica, avec au centre du plan une lampe à pétrole. Alors que la lampe éclaire Cheyenne de plein fouet, accentuant son humanité (la lumière pouvant symboliser le feu de Prométhée qui permit à l’Homme de survivre dans la mythologie grecque), celui-ci lance la lampe en direction de l’Harmonica. La lampe oscille, et éclaire à moitié Harmonica, figure mystique, presque surnaturelle, qui traverse le film tel une divinité vengeresse.

Grâce à cette scène, le spectateur comprend qu’Harmonica n’est pas tout à fait de ce monde, ce qui explique ses apparitions et ses pouvoirs quasi-divins (il trompera la mort de nombreuses fois, tant qu’il n’aura pas accompli sa vengeance).

Notre intrigue se poursuit au rythme de la violence qui a parsemée « l’âge d’or » des États-Unis (meurtres, corruptions, agressions et viol sur la femme). Jill McBain use de tout son corps et son esprit pour survivre à la figure du Mal que représente Frank, en le charmant puis en acceptant ses avances pour tenter de sauver sa ferme laissée par son défunt mari. Harmonica, implacable, rentre quant à lui en confrontation avec Franck en sauvant la ferme de JillMcBain. Deux entités vont alors s’affronter et Cheyenne comprend qu’il n’est pas de taille. Il décide très intelligemment de laisser à Harmonica le soin d’affronter Frank, seul, malgré les plaintes de JillMcBain.


Le rideau se lève alors sur le duel.


L’arène se situera devant un bâtiment en bois au bord d’une falaise où se profile une chaîne de montagnes inhospitalière. On mêle ici habilement l’Ouest Sauvage qui va petit à petit être dompté par l’Homme, qui commence à survivre à cette terre aride et à implanter son nouveau foyer. Les personnages se confrontent enfin et le thème de Harmonica débute quand celui-ci se montre à l’écran. Chacun se déplace et Harmonica décide de se figer au milieu de l’arène. Frank pose son manteau. Il est prêt à en découdre. La musique reprend un nouvel élan. Il est sûr de lui, lui le tueur impitoyable agent du Mal. Il se déplace pour observer sa victime, sa proie. Harmonica est comme à son habitude, imperturbable, il l’observe avec un regard de sentinelle. Frank continue son déplacement et tombe dans le piège d’Harmonica : il est légèrement aveuglé par le soleil. Le soleil qu’il n’a cessé d’éviter tout au long du film en se protégeant de celui-ci avec son chapeau, le rend vulnérable comme si l’Obscurité devait faire face à la Lumière.

Frank décide malgré tout de continuer et se pose fièrement en face d’Harmonica. Dos au soleil, celui-ci exhibe un léger sourire, satisfait, et se rapproche de Frank. La musique décline. Seul reste le bruit du vent qui semble raviver d’anciennes blessures. La tension est palpable. La mort se profile quand le thème de l’harmonica reprend tout seul après un zoom sur les yeux de l’Harmonica.


Commence alors la scène de flash-back et le drame qui lie les deux adversaires se découvre sous nos yeux. Cette scène nous montre la relation qui unit Franck à l’Harmonica, le jour où Frank tua le frère de son adversaire. La première image est celle de Franck très rajeunie (image saisissante, car Henry Fonda avait plus de 60 ans à l’époque du tournage !), marchant face à la caméra. Il s'arrête et exhibe son plus beau sourire.


Frank n'est plus l'incarnation du Malin, il est le Diable en personne.


Ce plan renvoie aux autres flash-back du film, où cette image est floutée par la chaleur. En même temps, le cri de mort de l’harmonica ressurgit. Franck s'avance et met l’harmonica dans la bouche d'un jeune homme qui ne peut être qu'Harmonica (on comprend alors pourquoi il transporte cet instrument de mort). À cet instant précis, la guitare électrique fait entendre son cri funeste, dans cet espace digne de l’Enfer. La caméra recule et on peut apercevoir qu'Harmonica tient sur ses frêles épaules, son frère. Il n'y a aucune échappatoire. Les violons reprennent du service. On nous montre le frère de l’Harmonica et on accentue le sadisme qui s’était dessiné sur le personnage de Frank. Chaque respiration d'Harmonica enclenche le son de l'harmonica : l'instrument et l'homme seront désormais lié à tout jamais. Accablé par la chaleur, la fatigue et la soif, Harmonica titube mais se redresse. Frank continue à observer la scène avec un sourire qui s'élargit de plus en plus au fur et à mesure de l'agonie d'Harmonica.Les chœurs tels les messagers de l'Autre monde atteignent leur paroxysme au moment où le frère suspendu entre la vie et la mort, maudit Franck. C’est alors que se termine l’opéra de violence, par le bruit de cloche qui correspond au mouvement de balancier produit par le frère de l’Harmonica et le cri de mort de celui-ci.


Le spectateur vient d'assister impuissant à la mort du frère et la tristesse de l’Harmonica qui mord littéralement la poussière tandis que son instrument n'émet plus aucun son. On pourrait alors imaginer qu'Harmonica est un personnage mort, vengeur de toutes les victimes des atrocités de Frank, accentuant son côté surnaturel voir mythique. Dès que la dernière note du flash-back se fait entendre, un coup de feu retenti.


La musique semble disparaître, aucun instrument ne pouvant permettre de faire parler la mort.

Franck se retourne, sidéré comme le spectateur. Son immortalité vient de lui être arrachée.


Il tombe et pose alors une seule question : « Qui es-tu ? ».


Harmonica s’avance, lui montre l’harmonica, et le met dans sa bouche. Au milieu des fausses notes, semblable à un râle d’agonie, celui-ci comprend enfin.


Ainsi s’achève la quête d’Harmonica qui a bien compris une chose : l’arrivée des chemins de fer et donc d’une nouvelle civilisation se fera sans lui. Il est d’un autre temps et doit régler ses comptes avec Frank avant que la Justice, (symbolisée par les rails du chemin de fer, qui ressemble beaucoup aux barreaux d’une prison), ne le rattrape et l’empêche de se venger. Une fois celle-ci achevée, il disparaît, laissant place aux pionniers. Le film se termine alors sur l’image de JillMcBrain donnant à boire aux ouvriers du chemin de fer tandis que le train arrive, symbole d’une nouvelle ère : le capitalisme. L’Ouest Sauvage deviendra l’Amérique. Une Amérique incarnée par une femme courageuse.


Jamais une telle place n’avait était laissée à un personnage féminin dans un western, voir dans l’histoire du cinéma.


Devant nous une double page se tourne : l’adieu de Sergio Leone pour un genre qui l’a rendu célèbre et la fin d’une ère d’où sont issues des figures légendaires de l’histoire des États-Unis.


Plus de 50 ans après sa sortie, un fait demeure : Il était une fois dans l’Ouest fait et restera parti du panthéon du cinéma. Son histoire, ses personnages, sa réalisation et sa musique légendaire (composée par Ennio Morricone), resteront à jamais dans mon esprit et des frissons me parcourent encore l’échine au moment où je termine ma critique.


Merci Sergio Leone.

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le 7 nov. 2023

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Elminster

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