La dernière image du film, le sourire de Noodles sur qui l’opium commence à faire son effet, est absolument déchirante. Au bout de 4h10 d’un film qui visite 60 ans de la vie d’un homme, le spectateur est dévasté par cette conclusion qui dit tout. L’incapacité du personnage à prendre la mesure de ce que fut sa vie, volée et ratée, la nécessité de s’affranchir du réel et surtout du présent pour n’en garder que les plus beaux souvenirs. Un final bien avant la fin, hors temps, qui propose au spectateur un voyage dans la mémoire qu’il recomposera à son goût, habité par ce film fleuve sur l’enfance.
Lorsque le film commence, Leone met en place une temporalité brisée, sur 5 périodes distinctes qui commence par dérouter le spectateur. C’est l’un des grands choix de génie de son œuvre. L’exposition explosée procède d’un double mouvement : celui de l’identification et du mystère. Au centre, la fameuse clé de l’horloge, et autour, des personnages. Les cadavres qu’on étiquette et les vivants qu’on défigure ou qu’on tue pour obtenir l’identité de celui qu’on recherche.
Le rythme décante progressivement et Leone met en place un véritable opéra, dans lequel la musique est un élément indissociable. Fondé sur un dosage savant des scènes et des sommaires, il ponctue ses périodes d’acmés pathétiques (la mort de l’enfant, le viol dans la voiture) qui contrastent avec la mélopée étirée et mélancolique de Morricone, filtre nostalgique qui montre le regard rétrospectif d’un vieil homme qui se repasse avec regret les scènes clés de sa vie.
Car le motif qui traverse tout le film, et particulièrement la période de l’enfance, est bien celui du voyeur. Avant d’en être les acteurs, les enfants se cachent pour voir ce que sera leur vie : un amour impossible, du sexe, du crime, de la violence… Ce n’est pas pour rien que l’une des premières armes de Max est un appareil photo.
Avant de savamment détruire cet univers, le récit s’attache à nous le rendre familier. L’évolution des enfants, leur complicité à travers l’humour potache qui dit leur longue innocence et l’absence de maturité qui cimente leur relation est au cœur de l’œuvre. Face à la bande de garçons, l’apprentie prostituée est un personnage pivot : face à elle, on est précoce ou on a du mal à assurer, ou, l’une des grandes scènes de l’enfance au cinéma, on préfère manger la charlotte que de la donner en échange d’amour tarifées… Des échos discrets annoncent la rivalité et la victoire de Max : dès son arrivée, il vole la victime de Noodles, puis il lui fait croire à sa noyade.
Le monde des adultes qui attend le groupe est celui d’une criminalité qui les dépasse. La démesure guette, et le personnage complexe de Noodles montre un être impulsif, incapable de gérer la violence qu’il engendre ou subit. Ses coups d’éclat, d’une brutalité et d’une immoralité vraiment intéressantes pour un protagoniste de film américain, contribuent à l’épaisseur du film sur la mémoire d’une vie gâchée, par la prison, le deuil et les remords.
Leone offre visuellement une ville de larges rues aux perspectives grandioses, dans des plans mythiques comme celui de ce pont de Manhattan qu’on retrouve sur l’affiche, et fait dialoguer le New York légendaire des prémices du siècle avec celui de 1968 qui se résume à un mausolée de luxe.
On retrouve avec bonheur toute la grammaire du film mise en place dans ses westerns à travers les scènes de gangsters, celles qui ouvrent le film notamment : la dilatation, la durée, l’attente d’un monte-charge ou le flingue titillant le sein d’une femme… Et c’est lorsque l’équipe devient adulte, que Max siège sur son trône, qu’elle contamine leur univers : on retiendra notamment cette scène d’une grande intensité, suspendue à la cuillère dans la tasse à café de Noodles.
Film sur la mémoire, film testamentaire, film d’une violence sans concession avec les topos habituel de la fresque hollywoodienne, c’est un chapitre inévitable du cinéma américain.
La vidéo du Ciné-Club (genèse, anecdotes de tournage et analyse) : https://youtu.be/YhRx59wVV24