Deux frères, Kenan et Ramozan, qui ont avoué un assassinat, conduisent des policiers, un médecin légiste et un procureur, à travers les splendides paysages de l'Anatolie, à la recherche du corps. Un voyage compliqué : c'est la nuit, les paysages ont donc changé. De plus, quand ils ont caché le corps, ils étaient passablement ivres. Et puis, dans ce paysage de steppes, toutes les sources se ressemblent. En bref, ce qui n'aurait dû être qu'une formalité se transforme en un voyage nocturne de plus en plus tendu.
Un voyage où les personnalités vont se révéler petit à petit. La frustration du commissaire, qui est gêné parce qu'il doit obéir aux ordres du procureur. Le sergent très pointilleux sur les limites communales et les problèmes de cadastres. Le procureur qui fait de l'humour à des moments pour le moins inattendus. ans oublier l'officier de police qui est nerveux à l'idée de revenir dans son village natal...
Le DVD présente ce film comme un polar, mais c'est une erreur évidente. Regarder ce film de 2h30, constitué de longs plans-séquences, pour y chercher du suspense ne peut que mener à la déception.
Il faut se laisser guider par le cinéaste. Son film montre à quel point Nuri Bilge Ceylan maîtrise le langage cinématographique. Ses plans, longs, sont d'une durée idéale. Le film équilibre à merveille les passages narratifs et les scènes contemplatives. Les paysages sont splendides et le réalisateur parvient à faire un extraordinaire jeu de lumières avec les phares des voitures. On s'intéresse progressivement à cette dizaine de personnages que Ceylan prend le temps de nous présenter. Ici, il n'y a pas bons et de méchants : même les tueurs sont de braves gars qui font plutôt pitié.
Une grande sympathie pour ces personnages, donc. Et une scène absolument magnifique, une de ces scènes inoubliables qui vous frappent au détour d'un film. La recherche se prolongeant trop tard dans la nuit, toute l'équipe s'arrête dans un petit village et s'installe pour prendre un repas chez le maire. Et là apparaît la fille du maire, Cemile. Et cette apparition est un grand moment de cinéma. Le cinéaste frôle le mystique. Un sentiment quasiment religieux se dégage de cette entrée inattendue, de cette merveille qui ressemble à une icône. Et qui bouleverse les personnages.
Après une telle théophanie, plus rien ne peut être identique. Le jour arrive et tout change. Le film aussi : très vite, on aborde à une seconde partie qui sera centrée sur le personnage du médecin. Une seconde partie plus mélancolique et émouvante, qui enterre définitivement l'idée que ce film puisse être un polar.
Par contre, c'est un très grand film, magnifique, émouvant, drôle parfois (mais d'un humour très pince-sans-rire), où chaque plan est une véritable magie esthétique.
Pour la note, j'hésite fortement entre 8 et 9. C'est donc un gros 8 et un fort encouragement à voir ce film, si vous n'avez pas peur des œuvres lentes.