Il était une fois en Anatolie par arnanue
« Il était une fois en Anatolie », comme son titre le laisse suggérer ressemble bien à un conte. Divisé en deux parties, la nuit et le jour, le film nous laisse tenter de dénouer avec ses protagonistes le fil d'une intrigue policière, où les personnages (un procureur, un commissaire, un médecin et le présumé coupable d'un meurtre) tentent de retrouver un corps, puis d'élucider le mobile et les causes du meurtre.
Un conte, mais à la fois une puissante œuvre littéraire, ce film mêle en quelque sorte l'art cinématographique et la littérature, en prenant le temps du récit et en n'occultant jamais la part laissée à la description. De longs plans fixes sur des paysages de plaine la nuit permettent ainsi, dans la première partie, d'introduire par des lumières de phare, les personnages qui quittent ensuite le lieu de la scène clôturant ainsi le plan. C'est soigné, gracieux, ça ressemble aussi à de la peinture. Les personnages sont finement décrits, tout en nuances. Rien n'est donné gratuitement au spectateur, qui par le biais de quelques indices disséminés ça et là, doit parvenir seul à reconstituer ou à imaginer l'histoire de ces personnages et les sentiments qui les animent. Mais toujours en creux l'on devine une sorte de noirceur, de nostalgie qui baignent chacun de ces êtres. La nature semble jouer également un rôle primordial, à la manière des films d'Antonioni, où la force des éléments semble vouloir dominer à tout moment les actions de l'homme. Associée à cette nature, une forme d'ancestralité recouvre le récit (la forme du conte n'y étant pas étrangère), où l'on perçoit que les hommes ne sont que de passage et doivent s'accommoder du monde naturel (coupure d'électricité, souhait du maire de construire une morgue pour éviter que les cadavres ne pourrissent, ...). Le travail sur les sons est par ailleurs remarquable et l'on entend le souffle du vent dans les herbes hautes, les aboiements des chiens au loin, les bruits de couverts et de mastication lors de la collation chez le maire et les craquements du corps découpés lors de l'autopsie.
La scène de l'offrande du thé est l'une des plus belles scènes du film, où le seul visage éclairé de la jeune fille proposant le thé suffit à ranimer les personnages masculins et à les extraire un instant de leur sombre torpeur.
Un grand film à mon goût donc, à la forme plutôt rare dans le paysage cinématographique actuel, mais qui risque de laisser certaines personnes au bord de la route. Par son côté lent, littéraire et peu démonstratif, c'est en effet un film qui se laisse apprivoiser plus qu'il ne se donne facilement au spectateur. Je conseille donc de bien choisir son moment et d'être suffisamment reposé pour pouvoir rentrer dans l'histoire et laisser son imagination parfaire la construction du film. Si cet exercice ne vous tente pas, les 2h37 risquent très vite à l'inverse de vous agacer. Pour ceux qui auraient apprécié, je leur conseille ensuite de redécouvrir « les climats » qui vous laissera également imprégnés de magnifiques images.
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