L'histoire des studios Avala de Belgrade, début, apogée et déclin.

A la libération de la Yougoslavie, Tito devient président. En 1948, lorsqu'il décide de couper les ponts avec Staline, son aura touche au délire. Or Tito aime le cinéma. Il demande que les Yougoslaves aient leur propre Cinecitta. Un rêve au départ fort miteux : sur les trois bâtiments prévus, seul une partie du studio sera créé, le reste demeurera à l'état d'échafaudages. Après 1948, le cinéma russe cède la place au cinéma américain. La production nationale semble se composer principalement de films de partisan, un genre qui implique qu'un petit groupe de Yougoslaves déterminés massacrent à la mitraillette un nombre impressionnant de figurants en costumes nazis/tchechniks.

Puis dans les années 1960, les studios décollent, sous l'impulsion de Ratko Drazevidj, un ancien de la sécurité fan de Hollywood. De grosses productions internationales s'installent parce que c'est moins cher et les Yougoslaves mettent les bouchées doubles pour les décors : "Les drakkars", "Guerre et paix", "Marco Polo", "Genghis Khan", des peplums.... Mais le cinéma yougoslave lui-même semble trouver une certaine maturité : malheureusement le film ne s'attarde pas dessus et préfère dauber sur le rapport de Tito avec le cinéma, et notamment son soutien à "la bataille de la Neretva", sorte de "Le jour le plus long" sauce titiste, avec Yull Brynner dans le rôle de Tito. Le fameux pont qui est détruit pour les besoins du film reste comme une attraction touristique de nos jours. Enfin, "Sutjeska", autre biopic titiste, avec Richard Burton, montre un Tito déjà assez froidement souriant et prisonnier de son personnage.

Le film attache à cette trame les souvenirs du projectionniste de Tito, qui ne sont pas très palpitants. On visite l'ancienne villa du leader, qui a été bombardée par l'OTAN en 1991. Il y a aussi tout un développement sur le festival du film de Pula, superbe ville de l'Adriatique connue pour son amphithéâtre, qui servait à des projections géantes. Festival qui s'arrête en 1991, avec le regain des guerres.

Au début j'étais plutôt déçu. Intro avec un morceau de Cocorosie (c'est bien mais faut pas en abuser), puis présentation des protagonistes avec leur fonction qui s'affiche comme un tampon rouge, effet choc particulièrement raté. Et puis le directeur des studios et le projectionniste obéissent visiblement à une direction d'acteurs : on les voit se recueillir devant la statue de Tito, ouvrir des portes, visiter les studios à la lampe tempête... La mise en scène s'inspire de détails réels mais utilise parfois une symbolique un peu lourdingue, surtout assortie de petites touches de pianos ou d'harmonica un peu geignard. Les Américains font pire, me direz-vous. OK, mais ce n'est pas une excuse.

En réalité, il faut être un peu familiarisé à l'humour balkanique pour apprécier ce film. C'est un humour qui repose sur l'autodérision : je souligne mes défauts pour me faire passer pour un plouc et prendre de la distance par rapport à ça. Souvent, les anecdotes racontées sont assez accablantes : les techniciens qui expliquent qu'ils profitaient de l'arrivée de cinéastes étrangers pour apprendre d'eux tout en prétendant être à égalité ; le directeur des studios qui avoue que leur rôle était de faire entrer des devises étrangères dont manquait le pays ; les organisateurs du festival de Pula qui reconnaissent que comme Tito voyait les films la veille de leur projection publique, ils étaient pendus aux lèvres de son projectionniste personnel pour savoir quel était son acteur préféré et lui donner le prix. Ou encore quand ils avouent que si toutes les places n'étaient pas prises, on faisait venir les marins de la base navale de Pula (et de fait, on en voit beaucoup sur les images d'archive). Ou l'anecdote qui tue : le réalisateur de "La bataille de la Neretva" parle avec emphase du plan du pont qui saute, filmé par six caméra simultanée, mais un acteur affirme que ça n'a pas marché, en réalité c'est une maquette, mais le réal' nie en disant que la maquette n'était que pour les tests. J'ai bien ri.

Au fond, c'est une attitude maline qui n'exclue pas la nostalgie tout en laissant la place à la critique.

Le seul reproche que je ferais, c'est que le film ne remplit pas le contrat de départ : décrire en quoi le cinéma sous Tito a développé l'idée d'une Yougoslavie unie. Le film préfère s'appesantir sur les rapports entre cinéma et pouvoir communiste, ce qui a déjà été abordé bien des fois. Pourtant l'auteure est visiblement une passionnée, elle aurait sans doute pu mener cet ambitieux projet à terme, mais j'imagine que c'est la peur de faire fuir le public qui l'a arrêtée.

"Cinema Komunisto" est un film au sujet passionnant, qu'on aurait aimé voir traité plus en détail, en faisant l'économie de la mise en scène des protagonistes-revenant-sur-les-lieux-vingt-ans-après-avec-l'oeil-humide.

Ce film me confirme dans une idée que m'a apportée mon récent voyage en Serbie : les Balkans sont éminemment intéressants au niveau culturel et sont en demande de reconnaissance. Tournons-nous vers eux. Ils ne sont pas les ploucs qu'ils veulent faire croire.

Vu à l'Espace Saint-Michel.
zardoz6704
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le 21 sept. 2013

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