(Critique rédigée il y a quelque mois, je n'y ai pas retouché depuis)
- T’as le choix qu’entre trois choses en tôle : jouer aux cartes, te muscler et chercher des emmerdes.
• Vous faisiez quoi, vous ?
• Moi ? Je lisais.
Les débuts de Robert de Niro derrière la caméra se sont faits sur un terrain familier. Alors au point culminant de sa carrière, quelques années avant d’entamer la traversée du désert qu’il s’efforce aujourd’hui de faire oublier, l’acteur décide pour sa première réalisation de se pencher sur le milieu qui l’a fait connaître, et qu’il a si souvent sublimé de ses performances, à savoir le film de gangsters italo-américain. Son choix se porte sur la pièce autobiographique de Chazz Palminteri, narrant l’histoire de Calogero, jeune new-yorkais partagé entre la figure de son père, honnête conducteur de bus désireux de protéger son fils dans la pure tradition italienne et celle de Sonny, mafioso adepte de Machiavel qui décide de prendre l’enfant sous son aile.
Il était une fois le Bronx sort donc en 1993, soit 3 ans après le sublime Les Affranchis, fresque colossale et acide qui annonce une vision plus terre à terre et moins lyrique du film de gangsters, et dont De Niro assume pleinement l’héritage.
En effet, on sent, et ce dès les premières minutes que Les Affranchis fut un point de référence pour le cinéaste en herbe, qui s’appuie fermement à l’épaule de son ami de toujours Martin Scorsese pour guider sa main. La jungle new-yorkaise, les « bandits sympathiques » mêlés aux petites gens, la sélection musicale fournie et grisante, tout évoque le film de Scorsese, qui est constamment cité plus ou moins habilement.
Cependant, nous sommes loin d’une pâle copie, puisque De Niro parvient à insuffler à son premier film une énergie qui lui est propre. En s’éloignant de certains codes classiques du film de mafieux, les enjeux sont resserrés, et ramenés à une échelle humaine. Ici, pas de luttes impériales, pas de structure « Rise and Fall », pas de casses rocambolesques, mais un conflit bien plus humble, s’intégrant parfaitement au propos du métrage, qui va jusqu’à flirter avec le film de mœurs. Par ailleurs, (et comme son titre original, A Bronx Tale, l’indique), le film est écrit sur le modèle du conte, ce qui lui permet une structure plus simple et accessible. Les répercussions de cette structure se ressentent ainsi sur le ton général : par ses personnages archétypaux, ses dialogues parfois très premier degré et ses situations parfois surréalistes (notamment une scène où le jeune Calogero discute de la valeur des péchés avec un prêtre en plein milieu d’un confessionnal), cette petite communauté new-yorkaise se retrouve parfois filmée avec beaucoup de douceur, voire une certaine bienveillance.
Ce qui ne veut pas dire que le propos est simpliste ou infantile, loin de là ! Malgré sa construction très intuitive, le discours n’est pas délaissé pour un sou : il est même renforcé, à l’instar de ces deux figures paternelles se battant pour l’émancipation de l’enfant, qui se retrouvent finalement moins en opposition qu’en complémentarité. Ainsi, les deux hommes ne sont finalement séparés que par leur classe sociale, mais pas tant que cela par leurs idéaux. Cette finesse dans l’écriture permet d’éviter un manichéisme qui aurait plombé le long-métrage. Dans la même veine, le passage à l’âge adulte de Calogero est toujours traité avec un certain recul : plutôt que de tourner totalement le dos à un parti ou l’autre, le jeune homme reste divisé durant tout le film, jusqu’à ce que cette division devienne étouffante.
En parallèle, le long-métrage dresse un propos politique, en évoquant les luttes raciales de l’époque. Parfaitement dans l’esprit du film, le sujet est traité de manière plutôt naïve, presque eastwoodienne par instants, mais bien plus frontal sur certains points, toujours en gardant la finesse dans l’écriture dont le métrage faisait preuve jusque là.
En synthèse, A Bronx Tale se révèle très solide et généreux. La mise en scène de De Niro sait s’écarter de ses inspirations scorsesiennes pour tenter de réels coups d’éclat, expérimentant avec le grand angle, puisant parfois même dans le western pour offrir un spectacle rafraichissant, loin d’être un simple ersatz des Affranchis. Les acteurs offrent tous une performance exemplaire, Chazz Palminteri en tête, qui, connaissant parfaitement les personnages de la pièce dont il est l’auteur, offre un Sonny tout en mesure, despotique mais chaleureux, froid mais conciliant. Les deux jeunes interprètes de Calogero ne sont pas en reste, en particulier Lillo Brancato, qui interprète à la merveille ce jeune homme tourmenté, cherchant à s’épanouir sans basculer vers une voie qu’il regretterait. Quand à Robert de Niro, il excelle comme à son habitude, et surmonte aisément la difficulté de porter à la fois la casquette de réalisateur et d’acteur. Un baptême du feu réussi pour le monstre new-yorkais, qui contrôle à la perfection son virage derrière la caméra en livrant un premier film riche et honnête, qui a toute ma sympathie.