« Tous les jours, je regarde le monde du béton qui pousse et je me dis à chaque fois que c’est plus facile de construire que de faire disparaître. » Cette phrase prononcée par la narratrice s’oppose à la locution célèbre et communément admise selon laquelle il est plus facile de détruire que de construire. On reconnaît bien là les fondements du duo Poggi-Vinel : destruction des conventions, rejet du sérieux et du signifiant, recherche d’une beauté nouvelle… Création d’un cinéma générationnel, post-ironique, à fleur de peau. Voix-off candide et morbide, paysages abandonnés, polices d’écriture kitsch, effets spéciaux douteux, sons stridents et coupes musicales franches ; pas de doute, on est en terrain connu.

Mais entre post-ironie et nihilisme, il n’y a qu’un pas. Si Jessica Forever ne tombait jamais dans le cynisme, l’équilibre de ce nouveau court-métrage peine à convaincre. En abordant frontalement la question de l’écologie à travers une posture désinvolte, le film donne parfois l’impression d’être un simple produit de son temps. Les précédentes créations du duo évitaient pourtant cet écueil par un subtil art de la gratuité et de la suggestion, toujours au service des sens et non d’un message. Ici, l’utilisation de vidéos d’incendies survenus en Corse apporte un ancrage réaliste qui s’accorde mal avec cette désinvolture ambulante, caractérisée par la phrase de conclusion : « Est-ce qu’un jour il y aura un monde que je n’ai pas envie de voir brûler ? » Ce rapport distant à l’humanité rappelle les questionnements éthiques soulevés par le dernier film d’Artavazd Pelechian, La Nature, dont Il faut regarder le feu ou brûler dedans est le penchant adolescent. Dans les deux cas, il y a quelque chose de dérangeant derrière cette utilisation surplombante des archives.

Face à certaines trouvailles visuelles, il est cependant difficile de ne pas éprouver une certaine tendresse pour ce voyage rafraîchissant de dix-huit minutes. S’il semble parfois se répéter un peu, le cinéma de Caroline Poggi et Jonathan Vinel ne ressemble à aucun autre, c’est là une de ses forces ; on attend Eat the Night avec impatience.

Site d'origine : Ciné-vrai

Contrastes
6
Écrit par

Créée

le 23 févr. 2023

Critique lue 57 fois

3 j'aime

Contrastes

Écrit par

Critique lue 57 fois

3

Du même critique

Strange Way of Life
Contrastes
3

Soudain le vide

Il y a quelques années, Saint Laurent se payait les marches du Festival de Cannes en co-produisant Lux Æterna de Gaspar Noé, coquille vide qui permettait néanmoins à la marque de s’offrir un joli...

le 17 août 2023

24 j'aime

Unplanned
Contrastes
1

Propagande pure et dure

Même en tant que rédacteur amateur d’un blog à très faible audience, décider de consacrer un article à Unplanned est loin d’être anodin : dénoncé depuis plus de deux ans comme un nanard de propagande...

le 16 août 2021

14 j'aime

2

Knit's Island - L'île sans fin
Contrastes
8

L’ère de l’imaginaire

Les gamers le savent, un serveur peut fermer à tout instant et les joueurs se déconnecter à jamais du jour au lendemain. Les civilisations laissent des traces, les familles abandonnent des photos. À...

le 27 avr. 2023

11 j'aime