L'identification comme refus de penser.
Steven Spielberg m'a toujours fait l'effet de marcher dans les pas de Stanley Kubrick, mais sans se départir (ou trop rarement) de son humanisme souriant, de sa volonté de faire des films qui peuvent être montré en cours d'Education Civique. Sans renoncer, aussi à une forme d'entertainement puéril.
Si le but de "Il faut sauver le soldat Ryan" était de faire le film de guerre ultime, qui enfonce "Full Metal Jacket" (que je n'aime pas), c'est un échec encore plus retentissant que "Schindler". Si en revanche le but était de dégouter le spectateur du genre "film de guerre", c'est une réussite très subtile.
Aujourd'hui, j'ai une raison supplémentaire de détester le soldat Ryan : c'est la mère de toute cette vague revivaliste de la 2e Guerre Mondiale qui m'a semblé à la fois puérile et dangereuse. Je pense à des séries comme "Band of Brothers", l'autre sur la guerre du Pacifique, les "Medal of Honor" et autres horribles daubes Activision, et je mets aussi dedans le diptyque de Eastwood sur Iwo Jima, sur lequel on a beaucoup daubé, mais qui ne m'a pas semblé exceptionnel.
Il faut dire que je déteste le genre du film de guerre. Peu importe le réalisateur qui s'y colle : même le "Croix de fer" de Peckinpah, je ne le regarde pas sans une opinion mélangée. Car au fond, un pacifiste n'aura comme seule option que de faire de la surenchère dans l'horreur, qu'elle soit morale ou physique, et échappera très difficilement au poncif de "l'équipe-de-têtes-brûlées-qui-fait-bien-son-job-même-si-la-guerre-c'est-absurde".
Et Spielberg a choisi la stratégie de la surenchère dans le gore. Petit florilège : Tom Hanks hurle des ordres au radio à côté de lui pour se rendre compte que sa tête n'est plus qu'un trou de 10 cm de diamètre ; des soldats pleurent avec les boyaux dévidés sur des barbelés ; trois mecs font un point de compression sur le ventre de Giovanni Ribisi qui n'est plus qu'une fontaine rouge ; des mecs sur un char ont la tête qui explose, projetant d'éphémères petites fleurs roses mêlées aux éclats de métal ; leur corps s'effondre comme des pantins désarticulés ; un soldat allemand couché sur un soldat américain enfonce pendant une vingtaine de secondes un couteau dans son ventre, avec des mots presque tendres, apaisants. Un immeuble explose dans le fond, créant un quasi fondu au gris tandis qu'un soldat plonge vers le premier plan.
Parfois, on retrouve l'esthétique presque cartoon du premier "Indiana Jones" : deux Américains au premier étage d'un immeuble entendent un gars monter dans l'escalier. L'un d'eux craque et tire sur le mur derrière lequel se trouve le palier, créant une ligne de trous bien nets. On voit ensuite une flaque rouge dans l'ouverture de la porte, comme si on venait de crever une outre. Ou encore cet effet quasi tarantinesque : Tom Hanks, adossé à un cadavre de tank, tire désespérément les dernières balles de son pistolet d'officier sur un tank. Celui-ci explose, comme sous l'action d'une balle : l'aviation alliée arrive. Trop fun !
Ce serait injuste de décrire "Le soldat Ryan" comme une reconstitution fun et gore de la guerre. L'enjeu était de montrer la "brutalisation" des soldats : en action, leur vocabulaire se réduit dramatiquement ("displace !"). Ils agissent comme des machines, et chacun développe des tics liés à son histoire personnelle pour surmonter la réalité : le sniper fait une prière avant de tirer, Tom Hanks a les mains qui ont des crises de tremblote, untel collectionne la terre des champs de bataille, untel baise son crucifix, etc.. Donc le film ne voudrait pas montrer les soldats comme des gars dans leur bon droit, mais comme des grands garçons perdus loin de chez eux et transformés en bêtes sauvages par la cruauté de la guerre. On reconnaît derrière le concept de "brutalisation" inventé par George Mosse et popularisé en France par des universitaires comme Annette Becker ou Stéphane Audoin-Rouzeau.
Je n'ai jamais été emballé par ce concept. L'expérience individuelle est bien moins intéressante pour comprendre une guerre que l'étude des causes structurelles (économiques, sociales, etc...).
Et puis non, je suis désolé mais ce film nous montre que sur le champ-de-bataille :
1 - Aider des enfants n'est pas pragmatique.
2 - Epargner un Allemand est stupide, car on le retrouvera plus tard en face de soi.
3 - Il y a toujours un moment où il faudra se salir les mains, alors autant le faire le plus tôt possible (le très caricatural personnage de Upham).
Entendons-nous bien : Spielberg m'a toujours bien plus convaincu dans le genre de la reconstitution historique que dans la science-fiction. Il a une relation spéciale avec l'Amérique des années 30-50. Au niveau formel, tous ses films qui portent sur cette période ont la patte d'un des plus grands, vraiment. "Le soldat Ryan" est un des films où le décalage est le plus fort entre les images, plastiquement splendides et le message qu'elles véhiculent.
Elles sont si belles, ces images de ville détruite ; elles sont si bien découpées, ces scènes d'action. Elles sont si esthétiques, ces mares de sang qui tranchent sur la dominante de gris. Quelle belle idée pour illustrer le "shell shock" que de faire une séquence où le son ne passe pas et où le temps semble s'arrêter.
Mais oups, on ne serait pas en train de faire de l'esthétique avec la guerre ? Ha ben zut alors ! Ajoutons à cela des dialogues destinés à victimiser les soldats dont voici quelques exemples :
"Ho my god it hurts ! I'm gonna die !". J'aimerais être dans la peau du c.. qui a écrit cette réplique.
Giovanni Ribisi qui, en mourant, chouine comme une merde "Mama, I wanna go home". Pitié !
Pour résumer : Ach, mein klein Steven, tu as beau être chuif, tu as la léchèreté d'un panzer !