Droits de l'homme ?
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le 27 juil. 2012
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Ah, le cinéma militant ! Vous savez, celui qui vous dit ce que vous devez penser plutôt que de vous mettre face à des questions. Celui qui est convaincu de détenir la vérité. Celui qui classe les humains en deux catégories, pas "ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent", non, les méchants et les gentils. On rangera dans cette case, entre autres, par ordre de qualité décroissante : Ken Loach, Ari Kaurismäki, Stéphane Brizé, Robert Guédiguian, Nabil Ayouche, Philippe Lioret, Denys Arcand et Michael Moore.
La méchante Belgique persécute les gentils migrants, il faut que ça se sache, que diable !
Olivier Masset-Depasse affirme qu’il a voulu montrer que les fonctionnaires en charge de ce système sont aussi des victimes. C’est le rôle dévolu à la blonde gardienne plus empathique que ses collègues et qui finira par rendre son tablier, ou plutôt sa ceinture armée. Elle faisait ça pour nourrir sa famille, donc on peut comprendre… Enfin, pas tout à fait tout de même, elle est bien culpabilisée. Les autres sont tous insensibles, que ce soient ses collègues, le flic qui sait user de menaces pour faire plier Tania, les deux cerbères qui l’accompagnent dans l’avion dont l’un est balèze et le crâne rasé comme il se doit, une psychologue qui est surtout manipulatrice, n’en jetez plus. Si ce ne sont pas eux les méchants pour Olivier Masset-Depasse, qui alors ? Le système, bien sûr, cette abstraction qui absout chacun de ses responsabilités, à commencer par les braves gens qui protestent dans l’avion, avec à leur tête le commandant de bord qui déclare emphatiquement « ici, la loi, c’est moi »…
Cette critique n’est pas là pour explorer le fond du sujet, l’un des plus complexes qui soit, mais il me semble clair qu’on ne peut pas le résumer à un « accueillons tous ces gens car ce sont d’abord des êtres humains », ce qui semble être la position du réalisateur. Accueillir quelqu’un c’est lui trouver un logement, un travail, scolariser ses enfants, parfois lui apprendre la langue, en un mot permettre son insertion dans notre société. Les bien-pensants font comme si tout cela se réalisait d’un claquement de doigts. Bien sûr, Tatiana a déjà coché toutes ces cases, le film a beau jeu de mettre en lumière l'absurdité de ce renvoi en Russie. Pourtant cela ne règle pas la question, car si on régularise une personne dès lors qu'elle a réussi à s’insérer clandestinement, on décrédibilise toute règle d’admission sur le territoire. Comme argument, on trouvera aussi le fameux « aidons-les plutôt à rester chez eux », lu sur SC, une très bonne idée mais là aussi moins simple à mettre en œuvre… Fin de la parenthèse, revenons à l’objet filmique.
Comme tous les réalisateurs militants, pour faire partager ses convictions Olivier Masset-Depasse y va à la truelle. Il affirme dans une interview que tout ce qu’il montre s’est passé au moins une fois. Qu’une Assia soit défigurée tant elle est tabassée à chaque fois qu’elle refuse de se faire expulser, me laisse tout de même songeur. Que ce soit arrivé une fois c’est possible, mais le problème du cinéma est qu’il tend à généraliser ce qu’il montre. Le parti pris réaliste du cinéaste – grain de l’image très « documentaire », caméra à l’épaule qui bouge, actrice non maquillée – renforce cette sensation, quelque peu manipulatrice. Sans parler du fait que Tatiana est à son tour victime d’un tabassage… En gros, le film nous dit : « voilà comment ça se passe dans les centres de rétention pour migrants ». Le mérite, indéniable, est de nous alerter sur une réalité terrible : ce que peut être, en particulier, de passer brutalement d’une situation où l’on est insérée, avec un travail, un gamin à l’école, à une détention sans affaires, sans argent, où l’on est obligé de travailler pour passer un coup de fil. Le danger est de nous inciter à croire que les excès montrés sont le quotidien de ces centres.
Mais, après tout, Young Mr Lincoln de John Ford est aussi un film manipulateur ! Il y a là quelque chose de l’essence du cinéma. Tout dépend, donc, de la façon de faire, et c’est là que le bât blesse. Outre quelques clichés déjà dénoncés plus haut, auxquels on pourrait ajouter le logeur mafieux et l’avocat gentil mais impuissant, il y a les partis pris formels du réalisateur : cette caméra qui bouge sans cesse, ménageant des zones de flou, ce choix de la focale courte, ces plans souvent moches,. Tout cela pour « faire vrai », comme si on ne pouvait concilier réalisme et beauté de l'image, et pour se montrer immersif, un poncif du cinéma contemporain...
Le réalisateur opère par ailleurs des choix très convenus à plusieurs moments du film :
Malgré ces travers, le film parvient à tenir en haleine quasiment de bout en bout. On doit ce beau résultat à Anne Coesens, compagne du réalisateur à la ville, que la caméra ne quitte pas un instant. Engagée, vibrante, toujours juste, elle captive, et l’on admire son implacable détermination, plus forte que tout « le système ». Je l’avais découverte avec plaisir dans Duelle, elle confirme ici, ô combien, son talent à mes yeux. Rendons aussi à Olivier Masset-Depasse justice de quelques réussites :
Comment expulser quelqu’un de force ? Le film a le mérite de montrer qu’il ne suffit pas de dire renvoyons chez eux les déboutés du droit d’asile, de la même façon qu’on ne peut pas se contenter, sur un autre sujet, d’un démagogique nettoyons les cités au karcher… Car une société civilisée ne peut user de certaines méthodes sans y perdre son âme. Elle le fait donc en cachette, ce que l’auteur dénonce. On retrouve les qualités et travers du cinéma de Ken Loach : une certaine force dans le propos, mais aussi un côté manichéen trop appuyé et une tendance au tire-larme pour emporter à tout prix l’adhésion du spectateur. Les frères Dardenne, référence méritée du cinéma belge, pratiquent un cinéma plus nuancé, plus complexe. Et donc, certainement, plus fécond.
Créée
le 18 janv. 2023
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