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Tiens, je me rappelle l'avoir vu à l'école ce film

On pourrait disserter des heures sur le cinéma politique et plus encore sur ce vieil adage de militant rabat-joie arguant que l'art est politique. J'aurais d'une part envie de dire que c'est faux mais surtout à quel point ça serait triste d'en arriver là. Cette quête obsessionnelle de paumés se cherchant constamment des combats à défendre pour pimenter leur vie terne et morose n'amènerait qu'à une désagrégation de l'essence même de l'art. Oui ceux qui sont incapables de s'empêcher de politiser tout et n'importe quoi me barbent, me font fuir et sont les derniers que j'aimerais croiser en soirée. Néanmoins, malgré tout mon amour pour la préservation d'un art pur qui verrait une dimension politique apparaître seulement quand elle est bien amenée et crédible au sujet de base, je constate avec impuissance que c'est de moins en moins le cas. Qu'en sera-t-il du cinéma dans 5, 10, 20 ans ? Un frisson parcourant mon échine naquit de cette simple question.


Il n'est pas facile de faire un film politique réussi. Il s'agit pour interpeller le chaland d'être neutre et objectif, de ne pas laisser parler seulement les personnages mais l'action même. On le dit souvent que le silence est parfois plus parlant que les mots. Pas besoin de discours calibrés pour démontrer l'évidence même si ce n'est de faire passer le cinéaste pour un prétentieux qui verrait en son public un troupeau de simplets incapables d'interpréter des éléments sans qu'on les guide. Et Dieu sait que c'est très réducteur de résumer le public moyen à cela car des gens qui réfléchissent, ça existe. C'est ce qu'avait d'ailleurs très bien compris le démiurge Costa-Gavras dont la filmographie devrait être un passage obligé en cours d'histoire. Simple, brutal et sans concession. Voilà ce que j'attends d'une oeuvre politique.


En s'intéressant au cas de Tania, une russe habitant en Belgique avec des faux-papiers qui défraya la chronique, le réalisateur a pour objectif de nous questionner sur la politique d'immigration belge. Le fait de baser son film sur une histoire vraie n'est pas un totem d'immunité et c'est une méfiance que j'ai développé. Pourtant, j'en gardais de bons souvenirs après l'avoir vu dans le cadre scolaire mais la perception cinématographique d'un ado de 16 ans n'est plus la même quand celui-ci a 28 ans. Le coup de semonce contre les institutions belges et l'homélie altermondialiste à l'accueil de tous les demandeurs d'asile aurait été bien trop facile, tout du moins dans les mains d'un tâcheron. Pourtant, c'est bel et bien en vogue de nous goinfrer jusqu'à l'écoeurement avec ça. Fort heureusement, 2010 n'est pas 2023 et il n'y avait pas cette tendance maladive et manichéiste que j'ai préalablement cité dans mon premier paragraphe.


Le réalisateur va avec beaucoup de pudeur et d'humilité suivre le destin de cette russe qui s'est créée une fausse identité et vit loin de son fils dans un centre fermé. Désemparée par ce qu'elle voit comme une injustice, elle doit faire face à l'ennui, à un quotidien répétitif et sans surprise, à l'attente également d'une évolution de son cas. Tania est une illégale mais le titre du film est à double-sens car il pourrait parfaitement refléter le traitement moralement illégal qu'on lui fait subir. Ca se sent que le réalisateur n'est pas un légaliste. Je ne le sermonnerai pas dessus car je ne le suis pas non plus mais pour d'autres raisons. J'ai un oeil beaucoup plus pragmatique (et in fine polémique à notre époque sans pour autant basculer dans un populisme extrémiste que je répudie). L'utopie d'accueillir tout le monde ne me convainc pas et si l'on veut accueillir, encore faut-il en avoir les moyens. C'est bien beau d'ouvrir les portes à tout le monde mais si on finit par abandonner comme des chiens ces gens là dans la rue dans des conditions abjectes, où se situe l'humanité ? Certainement pas chez ces moralisateurs pseudo humanistes à la fausse bonne conscience.


La griffe acérée, mes craintes furent apaisées. Je ne me suis jamais senti étouffé par le propos du réalisateur. On devine son parti-pris mais il ne se braque pas à toute opinion opposée. C'est la personne rêvée pour débattre dans le calme et la sérénité. Son film est vrai, presque jamais exagéré (le coup de la chanson triste, je ne peux pas). Les policiers et les gardiens ne sont pas tous vus comme des salauds sans coeur et les demandeurs comme des pauvres petites victimes innocentes. A aucun moment, je n'ai ressenti de misérabilisme, d'attendrissement facile en se servant des enfants (la honte suprême à mes yeux). L'homme a tout tenté pour ne pas bassiner le cinéphile et il y est parvenu. Le chemin de croix de Tania donnera certes lieu à quelques petites bévues mais l'histoire tient la route sans grosses ficelles. Avec un jeu d'acteurs assez bon, le pari est réussi. "Illégal" est le genre de film que l'on se plaira à débattre avec toute personne ouverte d'esprit avec qui l'on partagera ou non le même avis. C'est le nerf de la démocratie et il doit être préservé. Ce rêve lucide est pourtant bien loin de la réalité vu à quel point il est facile pour certains de basculer dans le fascisme de pensée en refusant tout propos qui ne correspondrait pas avec leurs valeurs. Je leur recommanderai chaudement de s'en aller vers les horizons biélorusses mais pas sûr que l'accueil sera des plus éthiques.

MisterLynch
7
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le 9 mars 2023

Critique lue 10 fois

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MisterLynch

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