Illusions Perdues parvient à nous emporter avec panache et brio au cœur de la tourbillonnante Comédie humaine chère à Balzac, plus contemporaine que jamais.
Pour un littéraire talentueux, il est tentant de s’aventurer dans le fourmillant Paris des années 1820. Lucien (Benjamin Voisin), un jeune et doué poète d’Angoulême y est emmené par Louise (Cécile de France), une femme de la noblesse provinciale, séduite par le jeune artiste. Lui n’étant que modeste roturier, il leur est impossible d’entretenir cette liaison dans la capitale. Abandonné à lui-même, Lucien rebondit dans le journalisme critique et satirique, démolissant ou encensant, ceux qui font le monde : notables, artistes et personnalités politiques. Rien ni personne ne résiste à sa plume acerbe et virtuose qu’il met à disposition du plus offrant afin de s’acheter une revanche contre cette société qui n’a pas voulu de ses vers.
Qu’il est délicat de critiquer une œuvre qui déconstruit avec brio et lucidité le commentaire et la critique d’art, en ne les rapportant qu’à de vulgaires faiseurs de rois ! Ils ne seraient que des outils d’un système basé sur l’illusion du pouvoir offert par une gloire éphémère. Dans une scène particulièrement savoureuse, deux journalistes démontrent la facilité avec laquelle on peut descendre n’importe quel chef-d’œuvre. Croyez-le ou pas, tel n’est pas la philosophie au sein de la rédaction de ciné-feuilles. En toute sincérité, Illusions Perdues est une réussite époustouflante. On aurait pu craindre que la substance du livre de Balzac – près de 1000 pages - soit réduite à peau de chagrin lors de son adaptation cinématographique, il n’en est rien. Bien au contraire.
Réalisateur et scénariste, Xavier Giannoli recentre intelligemment le récit autour de la période parisienne de Lucien et l’imprègne d’un ton terriblement contemporain. Ainsi, il parvient à montrer comment cette comédie humaine du début du XIXème siècle est véritablement une tragédie sociale universelle. Que ce soit aujourd’hui ou 200 ans plus tôt, c’est toujours les fake news qui forgent les idées, la polémique qui distrait des problèmes de fond, la fabrication d’une élite en carton qui divertit le peuple et l’éventualité que des banquiers puissent entrer au gouvernement. Ainsi, en 2h30, le film capte parfaitement l’universalité du matériau originel tout restant parfaitement rythmé (jamais on ne s’ennuie) et riche en émotions. Car derrière ces problématiques traitant d’un « système », du « peuple », de « l’art », jamais le film n’oublie ses personnages. Au centre, Lucien, le premier violon qui se croit chef-d ’orchestre, est parfaitement incarné par Benjamin Voisin. Aussi beau qu’un lys isolé dans une vallée, il parvient à dégager une arrogance ingénue à la fois pathétique et touchante. Autour de lui, les seconds rôles ne sont pas en reste. Aucun ne semble être un faire-valoir et tous sont incarnés plus vrais que nature. A la réussite du scénario s’ajoute donc celle de la direction d’une superbe distribution : Salomé Dewaels, Vincent Lacoste, Cécile de France, Xavier Dolan, Jeanne Balibar ou encore Gérard Depardieu parviennent à faire exister cette jonchée de personnages. Il s’agit également d’une des ultimes apparitions de Jean-François Stévenin dans un petit mais mémorable rôle. Le fait que ces interprètes évoluent dans des décors et des costumes reconstituant parfaitement le Paris Napoléonien, sublimés par une somptueuse direction artistique, participe à cette grande réussite que sont ces Illusions perdues. On irait même jusqu’à dire que le contrat est plus qu’honoré.