De l'art difficile d'adapter un roman

C'est une question compliquée de savoir ce que se joue précisément quand on adapte un roman au cinéma. Il est presque certain qu'il n'y a pas de règle générale qui puisse permettre de réussir une adaptation qui se trouve incidemment être un bon film, et les écueils dans lesquels on peut tomber sont nombreux. La tâche est d'autant plus dur que l'on adapte un écrivain, qui comme Balzac, produit d'infinie nuance subtile de la peinture de personnage.
Le cas (pour emprunter le vocabulaire du médecin) de Illusions perdues est paradigmatique pour montrer comment l'absence totale de cette nuance se produit dans chaque scène et on croirait voire que toute les modalités sont mises en place pour ne pas réussir le film.
Dans une adaptation, l'enjeu esthétique nécessaire est celui de la traduction du roman en film, c'est une gageur de le dire de cette façon, mais la chose n'est pas aussi simple quand essaie de la pratiquer. Certes le matériel de base est ce que l'on pourrait appeler vaguement une histoire, mais les exigences de la mise en scène et de l'écriture ne sont absolument pas les mêmes. On peut expliquer en plusieurs pages le caractère d'un personnages dans toutes ses subtilités, là où un film sérieux doit le mettre dans une situation pour illustrer un comportement qui dépeint se caractère. Le film est beaucoup plus esthétiquement situationnel que le roman.
C'est précisément ce point essentiel de l'adaptation que rate le film et qui est pourtant une jolie chance manquée. Le roman de Balzac avait une tendance lourde a idéaliser (au sens philosophique) ses personnages bourgeois, à en faire des figures de peintures, qui se déployaient en dehors du monde, et dont le visage et le corps étaient indéfinis, purement mouvant dans l'imaginaire. Le film par obligation, rends corps à ces figures, et c'est déjà très intéressant. La marquise d'Espard rendue physique, a une voix aiguë particulièrement insupportable et un visage allongé de musaraigne, une robe qui ressemble à toutes les autres, bref, malgré sa position sociale infiniment supérieure, elle est désepérément commune. Lucien n'est pas si beau, Lousteau pas si envoutant ... Etc. Ce retour de corporalité est le mécanisme le plus bienvenue du film et qui vient du réalisateur en ce qu'il a fait une sélection d'acteur à mon sens assez juste.
Mais on sent, ou il semble qu'avec la corporalité qu'il apporte, le réalisateur devient lourdaud comme le film qu'il porte. En perdant tout ce qui était éthéré chez Balzac, il perd aussi tout ce qui est subtil. La scène qui en est la représentation paradigmatique, c'est la scène du théâtre pendant laquelle Lucien perd l'estime et l'amour de Mme de Bargeton. Le baron du Chatelet étant à l'autre bout du théâtre, Lucien lui fait un signe de main, avec une candeur dans le geste et dans le visage qui sont celle d'un enfant de huit ans, et qui ne correspond pas à un jeune écrivain épris de succès, il y a trop d'impulsion naïve et presque de bêtise infantile dans ce geste pour qu'il convienne à un autre personnage qu'à un enfant, alors que Balzac délaye dans mille gestes et dans les innombrables subtilités que Lucien ne comprends pas tout le chemin qui le fais chuter. Les artisans de cet échec de transcriptions sont les acteurs (mauvais ou mal dirigés, j'ai toujours tendance à pencher pour la seconde option) qui ne parviennent à aucun moment à être autre chose que des mimes de personnages du XIXème, une double interpolation bien funeste. L'acteur joue l'idée (la mauvaise idée) que se fait le réalisateur d'un personnage que Balzac a lui même tiré de la réalité, quadruple interpolation. De là vient que le miroir étant déformant à chaque fois, les performances sont ridicules, le Nathan compassé et constipé de Dolan, le Lucien tantôt beta, tantôt énervé comme un enfant, tantôt parfaitement benêt, mais jamais poète amoureux et faible, faiblesse constitutive de Lucien qu'il n'arrive jamais a saisir, car pour tout faible que Lucien est, il reste intelligent. Le Lousteau trader de Lacoste, qui loupe aussi complètement que Lousteau est écrivain, et reste écrivain avant d'être un journaliste d'affaire. En définitive pour tout les efforts qui sont mis dans la création d'une ambiance XIXème, le monde à l'intersection de la noblesse et de la bourgeoisie que peint Balzac ne nous parviens jamais, et à la fin de la pièce, quand tout le monde est parti et que la pièce est terminée, il ne reste que quelques colonnes en carton pâte et une scène vide.

Jansen
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le 6 avr. 2022

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