« Le serpent est assez ami de la danseuse »

Après France (Bruno Dumont, 2021) sorti le mois dernier, Illusions Perdues investit le monde des médias en ciblant, lui, l’essor de la presse au XIXe siècle et la multiplication des petits journaux aptes à concurrencer les journaux officiels en diffusant massivement toutes sortes d’informations et de rumeurs. Le film compose ainsi une satire féroce du journalisme qui articule brillamment les enjeux correspondant à l’époque de rédaction du roman et ceux d’aujourd’hui, quoique les allusions demeurent parfois lourdingues – « un banquier au sommet de l’État », « le masque et la plume » etc. Xavier Giannoli réussit à parler de notre société contemporaine tout en reconstituant le Paris de Balzac avec fidélité et subtilité : c’est quand la reconstitution disparaît aux yeux d’un spectateur embarqué qui croit à ce qu’il voit que le film historique s’avère le plus abouti et atteint sa cible ; à ce titre, décors, costumes, effets spéciaux s’avèrent virtuoses pour nous donner à voir et à vivre une capitale boueuse et mortifère qui attire à elle nombre de provinciaux soucieux de trouver là un eldorado.


Comme dans le roman ici adapté, le film montre fort bien la perversion progressive d’un idéal, sa dénaturation au profit d’une course aux titres et à la renommée jusqu’à la chute attendue et le retour au bercail ; cette séduction négative passe certes par des personnages, en l’occurrence par l’initiateur Étienne Lousteau, Vautrin en puissance qui initie Lucien à l’art de fabriquer de l’opinion en jouant sur les polémiques et les réponses incendiaires, en « prostituant sa plume » – la formule est de Barbey d’Aurevilly – contre de l’argent, des intérêts et des protections, mais demeure liée à Paris dont l’insalubrité n’a d’égale que son inhumanité. Giannoli utilise la ville comme métaphore de la pourriture intrinsèque des milieux bourgeois et aristocratiques, la saleté environnante contrastant avec l’éclat trafiqué de courtisans que dégradent courbettes et autres démonstrations de convenance sociale.


Le choix de Benjamin Voisin, jeune acteur à la présence brute que nous avions découvert dans Un Vrai Bonhomme (Benjamin Parent, 2020) puis dans Été 85 (François Ozon, 2020), coïncide parfaitement avec le personnage de Balzac ; de même, les comédiens brillent de mille feux, tous excellents. La réalisation de Giannoli touche également au sublime en dépit d’une recherche frénétique du tape-à-l’œil qui finit par desservir son propos – pensons à ce plan sur Lucien volant au-dessus de la table de banquet, cliché qui n’est amené par aucun retournement ni aucun élément de mise en scène. La minutie avec laquelle il retranscrit d’abord la méconnaissance des règles de conduite puis leur apprentissage, la précision avec laquelle il capte l’embarras et isole son jeune premier traduisent très bien la narration du romancier français. Notons enfin que la narration, loin de redoubler inutilement l’histoire, permet une distance critique et littéraire que porte la voix suave de Xavier Dolan.


Une œuvre immense, l’une des grandes réussites de l’année 2021.

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le 27 oct. 2021

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