Cendres et Diamant, le premier long-métrage vu de Andrzej Wajda (sorti l'année suivante), n'était déjà pas un sommet d'optimisme et de joyeuseté, en prenant pour cadre, déjà, les derniers temps de la Seconde Guerre mondiale — les derniers jours en l'occurrence, en mai 1945. Ils aimaient la vie (Kanał en version originale, référence aux égouts dans lesquels se passera l'essentiel du film) en rajoute une couche dans ce registre et se fait encore plus noir, en suivant la lente agonie d'un groupe de résistants polonais, illustration des derniers moments de l'épisode historique de l'insurrection de Varsovie. La plongée dans le labyrinthe des égouts de la ville, ultime geste de la résistance, se fera dans la douleur, la crasse, la désillusion et l'horreur la plus totale. On n'en ressort pas indemne.


C'est le récit d'un étouffement, au sens propre (les protagonistes sont acculés et épuisés dans les égouts) et au sens figuré (on voit mourir les dernières traces d'espoir au sein du groupe de résistants), focalisé sur des réfugiés sous-terrains encerclés par les Allemands. Chaque membre dispose d'une histoire personnelle, de peurs et de secrets, et dans le piège constitué par ce marécage poisseux et mortel, tous se trouveront unis dans la crainte de la mort. On ne peut pas dire que Wajda fasse un portrait héroïque de la cause pourtant éminemment noble de la résistance : il filme ces héros comme des rats pris au piège, en voie d'extinction, et le résultat est vraiment terrible.


Au sein de la compagnie éprouvée par les combats à l'air libre, c'est clairement un sentiment d'abandon qui domine. Des hommes et des femmes désorientés, asphyxiés par un air irrespirable, en proie à un découragement grandissant et à une folie inextinguible. La lutte est belle mais la fuite est vaine dans cet enfer où les conventions morales s'effondrent les unes après les autres. Rares sont les huis clos à présenter un épisode traumatique avec autant de vigueur, de pertinence formelle et d'immersion saisissante dans ce microcosme fétide. Un désastre bien éloigné des films de propagande exaltant l'héroïsme de la résistance.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Ils-aimaient-la-vie-de-Andrzej-Wajda-1957

Créée

le 4 févr. 2022

Critique lue 85 fois

4 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 85 fois

4

D'autres avis sur Ils aimaient la vie

Ils aimaient la vie
Boubakar
8

Les boyaux de l'enfer.

Second film réalisé par Andrzej Wajda, Kanal raconte comment un groupe de résistants polonais se terre dans les égouts de Varsovie afin d'échapper aux soldats allemands durant l'insurrection de la...

le 3 juil. 2021

5 j'aime

3

Ils aimaient la vie
Morrinson
7

Une histoire d'égouts

Cendres et Diamant, le premier long-métrage vu de Andrzej Wajda (sorti l'année suivante), n'était déjà pas un sommet d'optimisme et de joyeuseté, en prenant pour cadre, déjà, les derniers temps de la...

le 4 févr. 2022

4 j'aime

Ils aimaient la vie
AMCHI
8

Désespoir et douleur

Très beau film sur les résistants polonais, plein de désespoir, ambiance sombre. Kanal commence par montrer les résistants qui tentent de repousser les Allemands d'un immeuble délabré, on fait...

le 20 déc. 2012

3 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

139 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11