"Classicisme". C'est presque devenu une insulte de dire qu'un film est "classique" dans sa mise en scène, dans sa progression.
Entendons nous bien. Je n'ai rien contre les plans séquences interminables d'Inarritu, contre les multiples effets lumineux de Winding Refn, contre les narrations non-linéaires de Tarantino. C'est juste que certaines histoires gagnent peut être à être racontées de manière moins déconcertante, moins téméraire. Et puis, quand on découvre le protagoniste principal de "Imitation Game", on réalise que sa seule présence met un coup de pied à cet environnement "classique".
Ne connaissant Turing (enfin, son nom quoi) que pour ses travaux sur l'intelligence artificielle (le fameux "Imitation Game" qui est un titre totalement mensonger au passage puisque la question du "Test de Turing" est à peine abordée dans le film), je n'ai pas vraiment été à même, lors du visionnage, de séparer le réel du romancé quant à la vie du bonhomme. J'ai donc pris le film comme une simple histoire qui m'était proposée, et la proposition m'a beaucoup plu.
Pour le synopsis : Lorsque le Royaume-Uni déclare la guerre à l'Allemagne 1939, les services secrets de sa majesté engagent une équipe de jeunes linguistes/mathématiciens pour décoder les transmissions allemandes encodées par une machine apparemment sans faille : « Enigma ».
Parmi eux, le très brillant, autiste et hautain, Alan Turing, va s'attirer à la fois les foudres et l'admiration de ses équipiers dans sa quête acharnée pour créer sa propre machine capable de comprendre et vaincre « Enigma ».
Alors oui, le film a pas mal de défauts.
Déjà, il y a ce parti-pris de traiter la narration de manière pas totalement linéaire en nous présentant également des fragments de la vie de Turing après la Guerre (1951) et des flash-backs de son enfance. C'est pas une mauvaise idée en soi, sauf que des parties de l'histoire de Turing post-Guerre sont condensées, simplifiées. On sent que le réal n'a pas réussi à les rattacher correctement avec le corps du film (la seconde guerre, donc).
Exemple bête : Au début du film, un flic se met en quête d'enquêter sur le passé de Turing un peu sur un coup de tête. Ça peut sembler anodin, mais au regard des répercussions que l'enquête va avoir sur la vie du type, on y croit pas trop à ce « déclencheur ».
De manière générale, le film peine à faire quelque chose d'intéressant avec cette narration non-linéaire.
Le second défaut du film, très justement relevé par « Le Fossoyeur », c'est le fait qu'il ait un peu le cul entre deux chaises. D'un côté, son côté « biopic classique » l'oblige à faire comprendre au spectateur de manière évidente l'évolution de la situation (en l'occurrence, le parcours pour vaincre « Enigma »).
Mais de l'autre, ça reste assez technique par moments. Donc, une scène où tous les personnages sont euphoriques parce qu'ils ont enfin compris un truc essentiel...on a compris qu'ils ont compris, mais on a pas compris. Et c'est assez frustrant quand ce genre de film avec un volet un peu didactique n'arrive pas à nous faire piger un truc essentiel alors que y avait pas de problèmes de compréhension jusque là.
A part ces défauts évidents, le film est plutôt très bon.
Cumberbacht est excellent dans son rôle de génie à la fois détestable et émouvant. Certains disent que Turing n'était pas ce type froid, geek, asocial, sans notion de second degré, mais encore une fois j'ai beaucoup aimé le personnage qui m'était proposé.
Sans rire, je l'ai vraiment trouvé déchirant à certains moments. Les scènes où il prend peur et tente de défendre sa machine de Tywin Lannister (oui, ça va vous faire un choc) sont crédibles et retranscrivent l'angoisse du personnage à la perfection. Les scènes finales du film achèvent de nous prouver que Cumberbacht est excellent dans le tragique, sans tomber dans le pathos.
Le reste du casting est également très bon et, c'est assez rare pour le mentionner, j'ai aimé Keira Knightley dans ce film. Son personnage est à la fois complexe et très spontané, si bien qu'on n'arrive jamais à le cerner totalement. Dans le genre « second rôle féminin hollywoodien », on sort bien des sentiers battus et ça c'est cool.
Généralement, tout ce petit monde fonctionne assez bien ensemble et on se sent vraiment impliqué dans leur lutte quotidienne contre la montre pour décoder les messages allemands, et plus tard dans leurs dilemmes liés à leur réussite.
Même si le film fonctionne par plans très classiques, la répétition des scènes d'intérieur, les gros plans sur les horloges, créent un sentiment d'oppression, d'angoisse, et de claustrophobie. Et quand un film arrive à transmettre les émotions de ses personnages, même par des ficelles usées (jusqu'à la corde, aha), ça fait plaisir.
Les dialogues sont plutôt bons, les punchlines fonctionnent biens, rien à dire de ce côté (Ah si, que les commentaires écrits à la fin du film, comme dans 99% des films « inspirés d'une histoire vraie », sont vraiment en trop.)
Pour conclure, je dirais que si l'on conçoit le cinéma comme l'art de transmettre des émotions par la puissance et la force évocatrice des images, de la musique, et du montage, ce film n'est pas un bon film.
Mais si on admet que le cinéma c'est aussi des films qui, sans révolutionner quoi que ce soit, arrivent à susciter l'intérêt et à créer des sentiments grâce à un excellent casting et une bonne histoire, même si maladroitement racontée, alors « Imitation Game » est un bon film.
Je pense que vous aurez compris quel camp j'ai choisi.