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Attention, cette critique contient des spoilers
Si ma première vision de Unforgiven il y a de ça des années m’avait plu, elle ne m’avait pas non plus emballé outre mesure. Mais après avoir ces derniers temps traversé le vingtième siècle à grands renforts de westerns, dont tout récemment The Outlaw Josey Wales et Pale Rider, j’ai débloqué de nouvelles grilles de lecture qui me font désormais comprendre l’engouement suscité par le film traité aujourd’hui. Car le cinéma est un art qui communique avec lui-même, et que chaque film apporte une pierre à l’édifice qui ne saurait avoir un sens sans ses prédécesseurs, un fil de plus dans une grande toile qui, si on la fait vibrer, fait tomber toutes les gouttes de sens. Il me paraît donc indispensable d’avoir une certaine connaissance du corpus de Clint Eastwood, et du western en général, pour appréhender dans toute sa splendeur cette œuvre crépusculaire qui signe la fin d’une ère en s’attelant à en déconstruire tous les mythes.
La figure légendaire est ici démantelée pièce par pièce, et ce dès ce texte introductif sur soleil levant (repris en conclusion au couchant) qui explicite d’emblée des choses qui ne le sont habituellement pas. Adieu le surnaturel de Pale Rider, l'humanité de Josey Wales, l’anonymat de la Trilogie du Dollar. L’anti-héros s’appelle William Munny, et son passé est exposé sans ambage. Munny est une ancienne légende, un desperado qui a hanté les affiches “Wanted” des décennies durant, mais qui élève aujourd’hui des cochons et se rétame dans la fange au quotidien. Le décor est posé, et tous les éléments du récit vont venir appuyer ce démembrement méthodique:
- Le rôle du biographe qui s’attache à construire des fictions autours de personnes qui veulent se forger une image en enjolivant à tour de plume. Par deux fois on lui demande s’il écrit des lettres, car qu’y-a-t’il d’autre à écrire que le réel? Mais celui-ci persiste dans son palimpseste, s’attachant à réécrire ses travaux à la lumière des nouveaux éléments présentés, jusqu’à se heurter au mur d’indifférence de Munny
- Les ellipses abruptes de quelques jours qui font montre du temps qui passe sans que rien ne se passe. On passe ainsi en un plan de la neige à la chaleur, du soleil éclatant à la pluie diluvienne, sans que de transition superfétatoire ne s’opère
- English Bob, monté en épingle dans le train avant de se faire démolir petit à petit par Little Bill, aussi bien physiquement que figurativement.
- Kid Schofield, qui ne voit littéralement pas plus loin que le bout de son nez, vivant dans des récits légendaires et que la réalité de ce qui est romancé vient frapper en pleine face.
- Munny, qui ne se souvient d’aucune de ses frasques passées, bourré qu’il était, si ce n’est des instantanés traumatisants de la violence qu’il infligeait
- Le sort de la prostituée défigurée, que Kid croit tailladée jusqu’aux seins, puis que Munny pense amputée de ses doigts. La rumeur hyperbolique vient mystifier un acte barbare qui se suffit à lui-même pour être atroce
- Les personnages constamment affublés d’un alias choc, une marque de fabrique dans le canevas du mirage.
Les légendes sont balayées pour laisser place à l’âpre réalité des exactions commises et de la sauvagerie de l’ouest. Une prostituée estropiée se dédommage en chevaux, l'exécution du contrat se fait alors que l’homme est dans sa position la plus invulnérable, la mise à mort de Ned se fait hors champ, tout comme celle du premier cow-boy dont la tête est mise à prix… Quant à Little Bill, justice réactionnaire dont les fondations morales sont aussi peu solides que celle de sa maison, il est exécuté sans décorum par Munny, tueur de femmes et d’enfants de son propre aveu, qui travaille mieux sous l’emprise de l’alcool. Un voile éthylique occultant ses démons plutôt que de le forcer à les affronter. La violence, esthétisée à Hollywood, glorifiée dans la diégèse du film, est ici besogneuse et sale. La fange des cochons.
Le soleil couchant n’ancre plus le cow-boy dans la légende, mais laisse place à un nouveau jour pour le genre, et pour Clint Eastwood.