Je n'ai pas de putain de titre
Un western-testament, au goût âcre, comme un nuage de poussière qui t'assèche la gorge.
Il y a du John Ford dans ce film. Peut-être son plus Fordien. Et puis du Leone. Peut-être son plus Léonien. Ce que Clint a cru bon d'en prendre. Et puis beaucoup de lui. Comme s'il devait au genre un dernier cadeau, comme pour boucler la boucle en prenant le temps de démythifier ce personnage qui devait un jour sentir le poids des années.
Il s'y prend bien, avec intelligence, pour enlacer le drôle au pathétique et faire danser les deux, quand dans une scène de duel avec une boîte de conserve qui ne compte pas se rendre sans combattre, sous les yeux de son fils, de sa fille, il semble rendre les armes et se terrer. Alors qu'il va chercher un plus gros calibre.
Quand il doit s'y reprendre à vingt fois pour essayer de poser son cul sur son cheval.
Il en met du temps, mais il y arrive.
C'est un peu pareil entre lui et moi. J'ai pris du temps avant de l'aimer, le Clint, mais j'y suis arrivé.
Lui, vestiges d'un autre temps, revenant à sa vie d'avant pour que ses enfants ne croupissent pas plus longtemps dans la fosse à purin. Un vieux fils de pute qui refait un tour dans son passé.
Fallait pas taillader Delilah. Les putes à un Dollar n'oublient jamais. Elles réclament vengeance et qu'on soit impitoyable.
Dans ce film, si les paysages sont magnifiques, il y a plus de reliefs à contempler sur les visages de Eastwood, Freeman, Hackman ou Harris qu'à l'horizon. C'est beau.
Et quelques scènes où le temps s'arrête. Où Hackman arrive à tout écraser de son poids, superbement servi par un rôle de géant. Où Clint devient presque un spectre, nous laissant deviner, flattant presque notre intelligence, nous laissant combler un contrechamp absent ou chercher les pièces du puzzle sur son visage mangé par l'ombre.
Un film avec qui j'ai un lien. Je suis sûr que tu en as des comme ça, aussi.
Tu ne me feras pas croire que ce lien, cet élastique qui te lie au cinéma, a un algorithme. Qu'il est mathématique, que tu dois prendre un compas, une règle, ça n'a rien de géométrique. Qu'on pourrait nous ranger dans des putains de cases.
Tu ne me feras jamais croire une ineptie pareille. Et pourtant je suis prêt à en avaler, des couleuvres.
Moi, sans doute blessé par tous ces chiffres, tous ces traits et toutes ces courbes, je n'y crois pas. Peut-être encore traumatisé oui, par Monsieur Depaix (valent mieux qu'un) mon prof de maths de sixième. À qui j'avais démontré que ce carré était un triangle.
Depuis gamin, parce que j'avais pas les codes et les cartes et encore aujourd'hui, que j'ai toujours pas les codes et encore moins les cartes, ce que j'aime, je ne l'analyse pas. Je me laisse porter par la vague et ça me va comme ça.
Moi je dois être branché, être sous perfusion pour comprendre, tu peux me l'expliquer en long et en large, je ne comprends pas. Il faut que ça me traverse.
Et le cinéma, ces films qui me font vibrer, ils coulent de source, grossissant le flot de mon sang dans mes veines. Et souvent, s'il n'y a pas chair de poule, comme un souffle qui te traverse, il n'y a rien.
Le cinéma, c'est fait pour couler en toi, inonder chaque cellule. Ça te fait réfléchir, vibrer, souffler, pleurer et rire. Ça imprègne la moindre parcelle de ton corps. Ça t'accompagne, ça te protège presque.
Enfin, ça me fait ça, à moi. Des fois. Si c'est pas ton cas, vieux, dommage car, crois-moi, c'est mieux que le sexe.
Et des fois, aussi, quand je revoie des films, il y a mes potes qui sont encore à côté de moi. Même ceux qui ne sont plus là.
On pourrait presque encore se chatouiller.
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