La carte postale qui ouvre et ferme Impitoyable, accompagnée d’un texte résolument littéraire, résume admirablement la splendeur noire qu’il programme. Au sein d’une image d’un classicisme à l’épreuve du temps, s’impriment sur un crépuscule flamboyant un arbre, une tombe et une silhouette.

Film crépusculaire, Impitoyable contamine tous les champs de sa narration. La superbe photographie distille un clair-obscur de scènes dilatées en intérieurs nuits, dialogues auxquels Eastwood n’avait jamais autant accordé de temps. Les visages sont souillés, tuméfiés, lacérés ; la nature est une flaque de boue ou une étendue neigeuse, une pluie infinie et même les bivouacs ont perdu de leur charme légendaire.

Le passé du western irrigue de son sang noir les destins et les mémoires. Il ne s’agit pas de regretter un âge d’or que l’injure du temps aurait décati, mais de revenir sur sa jeunesse avec le recul et l’acrimonie que confère le grand âge qu’on nomme la maturité. Will laisse derrière lui les démons de l’alcool et des meurtres en pagaille. A ceux qui l’interrogent sur ses légendaires faits d’armes, il oppose toujours la même réponse : « I can’t remember. I was drunk most of the time. »

Alors que se dessine pour lui la possibilité du fameux dernier coup, les personnages qui l’entourent ne cessent de revenir sur cette pesante et glacée légende qui fige le Far West. Du jeune Schofield Kid à English Bob, tout le monde s’octroie un nom de scène, et participe à la réécriture d’une réalité trop sale pour qu’on la perpétue. Au milieu, l’hagiographe Beauchamp, chargé d’imprimer la légende. Chez Ford, la légende permettait la concorde et l’établissement de la civilisation, et laissait dans les coulisses de l’histoire la bravoure émotionnelle, l’amitié et le sacrifice. Chez Eastwood, 30 ans plus tard, c’est une monumentale gueule de bois qui se dessine. Le cow-boy est une ordure sanguinaire, le shérif un dictateur.

L’heure des bilans résonne. Il ne s’agit plus de raconter au coin du feu la fougueuse jeunesse d’un monde dont on a bien conscience qu’il est né dans la violence et se perpétue dans la noirceur la plus totale, mais de tenter d’y drainer une dernière fois une vengeance, ou quelque dollars qu’on ira chercher jusque dans les chiottes d’un terrain vague. Si l’on parle beaucoup, c’est pour neutraliser la fascination d’une geste désormais désinvestie de toute foi. L’action opératique de Leone, les regards acérés des meilleurs viseurs de l’Ouest, les fusillades jubilatoires de Pale Rider : tout cela a fait long feu, et c’est bien un pétard mouillé qui scande l’affrontement final. Saturé d’ellipses (particulièrement au sujet de Ned, qu’il s’agisse de sa capture ou de sa mise à mort), Impitoyable vautre ses personnages dans la fange de leur histoire.

La quête reste entière, et l’on s’y traine en boitant : on voit mal, on n’ose plus tirer, et l’on prend conscience que la grandeur du passé n’est plus parce qu’on a pris le temps de s’humaniser depuis ; mais que pour servir la pute et empêcher ses enfants de devenir des orphelins, il faudra reconvoquer la rage. On mêle alors à la pluie le feu du whiskey, et on tire dans le tas. Sans panache. Avec haine, arme et violence. Pour que la carte postale réapparaisse, pour construire un avenir, pour financer la fuite des bas-fonds de la nation, il aura encore fallu y plonger les bras et s’y souiller.

(une micro réserve pour ce chef-d’œuvre : quelques surlignages dans la démonstration. Les trop nombreuses tentatives pour monter à cheval de Will, la rédemption trop verbeuse du jeune Kid ; un peu dommage mais sans graves conséquences)

(8,5/10)

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Sergent_Pepper
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le 14 déc. 2014

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