Impossible... pas français par Alligator
Mai 2010:
Je n'irais pas jusqu'à dire que j'adore Robert Lamoureux, mais j'avoue que je comprends mal le dédain, voire la triste indifférence qu'il suscite généralement alors qu'il est l'auteur de deux séries importantes dans la comédie française. Le diptyque "Papa, maman..." et la trilogie "7e compagnie". Je ne connais pas bien le premier qu'il me faudrait revoir. Par contre, je connais par cœur la 7e cie, série qui ne cesse de me fasciner. Là, pour le coup, je peux parler d'adoration. Et je situe tout aussi mal cette dévotion, ce besoin fréquent de revoir ces films. J'y reviendrai, un jour, quand je trouverai le courage de la chroniquer. C'est un peu mon Everest.
Revoir "Impossible pas français" et le chroniquer est peut-être pour moi une sorte de mise en bouche, un entrainement, un test, un échauffement, un orteil dans l'eau, en espérant que ce ne soit pas un coup d'épée. C'est pourtant un film presque aussi difficile à chroniquer car je l'aime bien sans trop savoir non plus pourquoi.
Après le succès du premier épisode de la 7e cie, Lamoureux a voulu retrouver ses camarades de jeu (Lefebvre, Mondy, Tornade) dans une comédie contemporaine. Il écrit un scénario très différent, décrivant les mésaventures de personnages non plus lâches et sombres crétins mais plutôt des démerdards, toujours des français moyens, de ceux qui ne parviennent pas à dormir la nuit parce qu'ils héritent d'une grosse somme d'argent. Lamoureux se fait le chantre des classes moyennes. Artiste de seul-en-scène, il a fait d'abord son succès sur ce fond là un personnage humble dans une famille simple ce qui parle à la majorité des français de son époque, un humour forcément populaire.
"Impossible pas français" est totalement dans cette veine. Trois hommes, trois français moyens, un détective patron de sa petite agence, un chômeur et un père de famille qui vivait sur les allocations familiales sont à la suite d'un concours de circonstances amenés à faire un juteux marché avec un riche homme d'affaire. Mais des péripéties les obligent à courir après la montre.
Mais bien entendu cette histoire rocambolesque n'est pas du tout importante. Lamoureux met en scène des personnages dans des situations simples et joue sur l'idée de rupure, que ce soit dans ces situations comme dans les dialogues d'ailleurs. Ruptures de situations pour tous les personnages : Pierre Tornade perd ses agents dans un accident de voiture et se voit contraint d'engager les deux autres loustics ; Pierre Mondy perd son emploi car son patron a perdu gros aux courses ; Jean Lefebvre doit bosser parce que ses enfants réussissent leurs examens et vont à l'université. Pierre Mondy parvient sans vraiment le vouloir à copiner avec l'élite industrialo-commerciale française dans un ball-trap. Par pudeur, il tait sa modeste condition, s'en invente une dans l'import-export. Il fait affaire avec un négociant mais perd le chèque de la moitié de la transaction sur un terrain de golf. Un jardinier joué par Lamoureux le retrouve et l'encaisse. Mondy doit respecter le contrat à tout prix d'autant plus que les épouses de ces messieurs ont eu l'heureuse idée d'acheter commerce et atelier. A une situation A, Lamoureux ajoute aussitôt une situation B, la peau de banane qui fait rouler tout ce petit monde et il n'a plus qu'à tirer la ficelle jusqu'à ce que la pelote soit dévidée.
Ruptures dans les dialogues également avec cette maitrise des rythmes comiques qui sont respectés. La direction d'acteurs chez Lamoureux ne varie guère de film en film : la cadence du débit et la manière d'assener les répliques sont toujours aussi bonnes. A une logique succède une autre logique qui provoque le rire. Contraste, absurde, exagération et quelques rares jeux de mots forment le ciment de ces dialogues. L'humour de Lamoureux comme je l'évoque plus haut est bien davantage nourri de l'espèce de connivence que les situations et les personnages forment avec le public, relation privilégiée majorée par le grand succès du premier opus de la 7e cie qui a installé les principaux comédiens sur un piédestal. Leur capital sympathie est démultiplié et profite de l'affection du spectateur. Les films de Lamoureux souffrent aujourd'hui d'une image nanarde. La 7e cie est la trilogie du ringardisme française. Lefebvre, Mondy et Guybet sont les beaufs par excellence dans l'imagerie cinéphile. C'est parfaitement injustifiable. Certes, la réalisation de Lamoureux est toujours d'une confondante platitude. Sans être laide, le cinéaste n'apporte aucune espèce de commencement de début d'idée filmique à sa mise en image. Rien que de l'ordinaire, du basique. Champ/contre-champ, du fixe, point barre. "Sans ambition" ne signifie pas "merdique". Du reste il faut savoir ce que l'on jauge. Lamoureux n'a pas eu l'intention de créer un bel objet mais seulement de proposer des situations qui suscitent le sourire. La forme lui importe peu. Aussi à quoi bon pérorer sur la réalisation si elle n'accroche pas l'oeil avec des zooms ou des mouvements de caméras ineptes? Va-t-on reprocher à Tarkovsky l'absence de gags toutes les trois secondes dans "L'enfance d'Ivan" puisque ce n'est pas le propos?
D'aucuns pourraient décrier la facilité à jouer sur une certaine forme de caresse dans le sens du poil que justifierait la propension de Lamoureux à dépeindre les classes moyennes. D'une part, si c'était si facile tout le monde le ferait. D'autre part, je trouve "facile" cette lecture rapide de ses films. "Impossible pas français" sans aller jusqu'à parler de diatribe subversive distille gentiment une toute petite note d'anti-conformisme. Je n'irais pas jusqu'à dire que le personnage de Jean Lefebvre fait l'apologie d'une certaine forme d'anarchisme mais au moins qu'il donne à la paresse un visage humain fort réjouissant et sympathique. Lefebvre qui joue souvent l'abruti parvient notamment dans une scène téléphonique avec Mondy à donner une très belle illustration de cet effondrement émotionnel qui détruit le petit bonheur paisible qu'il s'était bâti à force d'évitement. Mondy lui apprend qu'il leur a trouvé un emploi à tous deux. Il hurle : "du travail!" Lefebvre, abasourdi : "du quoi?
- Du tra-vail!!!
- Du travail?.... Ah, merci quand même..." Il raccroche, tout ruiné. Adieu les petites démerdes, adieu les parties de carte au bistrot, l'horrible turbin pointe le bout de son nez! C'est intéressant de voir comment un tel personnage pouvait en ce temps là encore provoquer un rire bourgeois, celui d'une époque, les 30 glorieuses, où la paresse était un hobby. Lamoureux se moque finalement des valeurs de ses propres parents. Etre fainéant dans les rudes années 30 de la crise était inconcevable et immoral, alors que la période de forte croissance autorisait cette indolence. Alors, subversion vis à vis de sa propre génération d'anciens? Je le crois. Il en joue à fond tout le long du film. Lefebvre engueule ses enfants qui obtiennent, l'un sa maitrise, l'autre son bac. C'est en somme son propre choc pétrolier. Les 30 glorieuses sont terminées, faut aller bosser! Etrange situation de départ, le père ne fout rien pendant que la mère travaille et ils vivent cependant dans un aimable pavillon de banlieue.
L'autre antienne que l'on retrouve ici : le rapport à l'argent, à la matérialité. La différence de statut social entre ces simples français, issus du prolétariat et la haute bourgeoisie souligne une certaine déférence, de soumission diront certains, vis à vis de l'aristocratie qu'elle soit de sang ou pécuniaire. L'attitude de Jacques Marin doux et mielleux avec les grands et méprisant avec les sous-fifres montre bien cela. De même que l'influence évidente qu'exerce le titre de duc sur ces simples gens. Surtout la honte que ressent Mondy et qui l'incite à taire sa véritable identité sociale est un poids que le film s'évertue à alléger, les petites gens prenant une sorte de revanche, montrant leur habileté, leur ingéniosité ("Impossible c'est pas français!") toute nationale à surmonter les obstacles et à se hisser à la même hauteur que les pontes, quitte à leur damer le pion sur certains points (Mondy fait la leçon en matière d'histoire de l'armement à un riche collectionneur).
Bon enfant, sans douleur, le film de Lamoureux est destiné à faire sourire et plaisir. Beaucoup rechigneront à faire risette, mais personnellement cet opium du peuple me chatouille la nostalgie. Quand nostalgie rime avec amnésie, le monde de Lamoureux oublie les vrais tracas en perpétuant la comédie française du cinéma de papa. Dans la tradition des films insouciants de Grangier, comme "Poisson d'avril", quand le divertissement était roi. J'aime autant la comédie mordante, morale et politique des italiens. Il faut de tout pour faire mon monde. Celui de Lamoureux me plait beaucoup. Pourquoi se priver de cette futilité? Par moments Lamoureux, par un miracle tellement douteux que beaucoup n'y croient pas, parvient dans sa tourbe comique à faire fleurir quelques secondes de poésie. Malheureusement, ce n'est pas vraiment le cas dans cet "Impossible". Peut-être parce qu'elle prend scène sur les gravats de la guerre, dans un cadre champêtre, très proche de la nature, celle de l'enfance toujours, des cabanes en branches, des barques qui deviennent navires, des pique-nique au cimetière, etc., le trilogie regorge de ces petits moments de poésie. "Impossible pas français" n'a pas cette générosité mais se laisse regarder avec plaisir.