Si une chose, une seule, ou une seule image, devait rester d’In the mood for love, serait-ce, sans doute, Maggie Cheung, ou plutôt les robes de Maggie Cheung, non, son allure toute entière, déhanchés, sourires frêles, le moindre geste, élégant, et dont la légende dit que la coiffure et le maquillage demandaient cinq heures de préparation ? Cette chose pourrait-elle, aussi, être, peut-être, une musique, mélodie, ou complainte, et désormais est-il seulement possible de ne pas rêver d’amours naissantes dans les tourments d’un adultère sans avoir en tête la partition lancinante, et sublime, de Shigeru Umebayashi ?
Ne pas s’imaginer, toi et moi, marchant au ralenti quelque part à Hong Kong sans oser se regarder, sans oser se prendre la main, mais le faire quand même, au son de cette partition ? Mais il reste finalement tant de choses d’In the mood for love, tant de choses qui nous font comprendre ce que peut être la force poétique du cinéma, et sa beauté créatrice, rien qu’en contemplant les volutes de fumée d’une cigarette disparaissant dans la lueur d’un néon, ou des rideaux rouges ondulant le long d’un couloir, ou le simple fait de descendre un escalier, une main glissant contre le mur, en allant chercher des nouilles chaudes.
Bien sûr il y a une histoire, l’histoire d’une femme et d’un homme délaissés par leur conjoint·e respectif·ve, devenus amants, et qui, dans cet interstice qu’est le temps offert à eux deux dans leur solitude, se croisent, se découvrent et cèdent à des attachements indécis. Ce récit, a priori conventionnel, banal depuis la nuit des temps, une femme et un homme qui se rencontrent, ouvert aux mystères, aux non-dits, aux étreintes furtives, aux murmures et aux larmes, se (dé)compose par bribes, se devine par impressions, ne sera jamais une ligne, mais des instants saisis comme au hasard. Au bureau, dans une chambre d’hôtel, un corridor, sur le pas d’une porte.
Et cette absence de ce qui fait généralement un film disons classique, une linéarité donc, une compréhension d’absolument tout, cette absence-là permet à Wong Kar-wai de travailler la matière même de ses plans, aidé dans ses intentions par la superbe photographie de Christopher Doyle, de ciseler une esthétique de la mélancolie amoureuse, du désarroi des sentiments, enveloppée d’un écrin rétro vintage qui a fait date. Il n’y avait pas de script, de toute façon, de script complet. Wong Kar-wai a travaillé en réajustant, en modifiant, en façonnant à partir d’heures et d’heures de rushes.
Il aurait pu ainsi exister des centaines de versions d’In the mood for love, des plus courtes, des plus longues, des plus bavardes, des plus explicites, des encore plus belles peut-être. Il n’y aura que celle-ci. Que ces béances et ces ellipses, cette délicatesse dans une passion insatisfaite, dans les errances du couple, celui de façade, aux yeux des autres, sans intimité, ou celui que l’on escamote, livré aux cancans, parcourant les rues en ville, parti en incessants voyages. Celle qui nous laissera sur un secret, ce secret laissé, chuchoté dans un trou sur la façade d’un palais que les herbes envahiront, plus tard, là-bas dans les ruines d’Angkor.
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