Retrouver le cinéma par cette porte, c'était assez inespéré : qu'est-ce que ce film est bien !
J'ai mis du temps à sauter le pas, In the Mood for Love est un film dont j'ai entendu tellement de bien d'une part, tant de mal d'autre part, que j'avais un peu peur de me retrouver face à un truc finalement assez banal ou incapable de comprendre les passions qu'il peut sucité. Si on oublie le côté un peu "consensuel" qu'on peut reprocher au film sur certains aspects (plus ou moins couple qui plus ou moins s'aime dans la plus ou moins nuit), il y a beaucoup de choses que j'ai appréciées : en voilà un petit florilège.
Déjà je trouve que c'est une assez bonne variation sur l'adultère : plutôt que d'exacerber la sensualité de ce type de relation, Wong Kar-Wai fait le choix de la "mettre en sourdine", de la suggèrer à travers une concentrations de la caméra vers les détails, on voit notamment les mains, beaucoup de mains. Une attention aux détails qui ne s'arrête d'ailleurs pas aux corps des protagonistes - avec une absence notable de ceux des conjoints officiels - mais qui se manifestes aussi par des plans sur des éléments qui pourraient parraître annecdotique (je pense par exemple au plan sur la goute de pluie qui tombe dans une flaque).
Un autre point que j'ai bien aimé au sujet de la variation sur l'adultère, c'est sa mise en espace. On est face à une espèce de caméra voyeuse, bien qu'elle ne nous montre rien d'obscène et au contraire, qu'elle se concentre sur une intimité extrêmement pudique. Le voyeurisme passe surtout par la suggestions encore une fois : on sait qu'on voit quelque chose d'interdit car les personnages sont très souvent surcadrés, l'écran est fractionné par des obstacles, l'objectif se trouve dans des lieux qui évoquent les "caméras cachées" (au fond d'un placard par exemple). C'est cette même caméra qui nous mène sans doute à les capter à travers des reflets, des fragments.
Par ailleurs, c'est aussi certainement le caractère adultère qui mène Wong Kar-Wai a developper une vériatable poétique des interstices ou des espaces liminaires : les personnages sont capturés dans des couloirs, des escaliers, des lieux de passages ; on les regarde à travers les vitres de leurs bureaux (avec les plans dans le bureau de la femme qui évoquent fort ceux que Yang prend de Ming dans Tapei Story). Il n'y a que lorsque les deux personnages principaux se trouvent coincés dans une chambre qu'on a l'occasion de les saisir pleinement dans une pièce qui évoque directement l'intimité.
J'ai aussi beaucoup aimé les scènes où le temps se ralentit, la musique se lance et tout est plus lent ; on regarde en vitesse réduite les hésitations des personnages. (C'est le moment de caser que j'ai adoré la bande son !). On joue entre le mouvement, parfois très appuyé, avec des répétitions, des variations de la même scène ou du même plan, et des moments de pure immobilité. S'exprime par ailleurs ici une grande maitrise du rythme : il n'y a pas un creux dans ce film. Là où le temps qui passe peut simplement se manifester par un changement de robe d'un plan sur l'autre, identique, il y a aussi des séquences qui exploitent la durée dans le plan (et vous le savez : j'aime la durée dans le plan).
Enfin bon, ce n'est pas la peine de m'éterniser davantage, je trouve que c'est un très bon film et il est dispo sur Arte jusqu'au 27 septembre alors profitez en !