La scène d'ouverture est à elle seule une véritable merveille. S'y succèdent, le temps d'un morceau de Radiohead parfaitement choisi, la sérénité d'un paysage oriental, puis des gamins en train d'être rasés par des soldats et enfin un notaire fébrile dans les archives de son office. On ne le sait pas encore mais en quelques plans tout est déjà là. La mèche est allumée et le feu que l'on perçoit déjà n'a pas fini de s'éteindre.
https://www.youtube.com/watch?v=YfFSBHJ2AzU
Le découpage du film proposé par Villeneuve est brillant. Il permet de raccorder le présent du récit aux flashback racontant l'histoire de la Femme qui pleure. Ce choix de narration est d'autant plus pertinent qu'il joue sur un des aspects essentiels de l'histoire : le hors-champ, hors-champ temporel comme spatial. A la suite de Simon et Jeanne, nous ignorons tout de ce que sait Nawal, leur mère, non seulement de ce qu'elle a vécu là-bas, au Liban, trente-ans plus tôt mais également des motivations profondes qui sont les siennes pour pousser ses enfants jusqu'à présent épargnés dans un passé lourd de sang et de haines. A plusieurs moments du film, Villeneuve place dans notre champ de vision des clés manifestes (les trois points sur le talon de l'enfant dans la scène d'ouverture, le frère sur le bord de la piscine) mais que l'ignorance des faits ne nous permet pas de reconnaitre. L'exercice est habilement réussi puisque Villeneuve nous emmène jusqu'à l'explication finale tout en préservant/révélant les secrets les uns après les autres.
Autre aspect de la réalisation tout à fait intéressant, le travail sur la double thématique feu/eau. Le feu est évidemment associé à la guerre. Les incendies du titre renvoient explicitement à ceux des maisons, de l'orphelinat ou du bus (quelle scène !) mais également à l'embrasement des âmes face aux révélations successives que nous assène le film. Mais si le passé est de feu, le présent est aquatique comme semblent en attester plusieurs scènes de piscine. La piscine où Jeanne et Simon se retrouvent après un choc psychologique et surtout la piscine où la mère finit par perdre (ou retrouver selon le point de vue d'où l'on se place) la mémoire.
Et enfin, la question du regard est également très intéressante. C'est bien sûr ce regard extraordinaire du gamin dans le travelling-avant de la scène d'introduction ( qui n'est pas sans rappeler celui que nous propose Kubrick en ouverture d'Orange mécanique ) auquel répond le regard du sniper dans les rues dévastées de la ville et enfin le regard de la mère sur le bord de la piscine.
Incendies est un film à ne pas manquer, plus maitrisé à certains égards que d'autres réalisations plus récentes de Villeneuve, un film ancré dans une réalité historique - la guerre du Liban - mais qui prend avec ses airs de tragédie grecque une dimension universelle.
Un très beau film.
Personnages/interprétation : 8/10
Histoire/scénario : 10/10
Réalisation/mise en scène : 8/10
8.5/10