Il est bon de revoir un film à un an d'intervalle; "Incendies" fait parti de ces films qui révèle leur force au fil des visionnages. C'est ce qui fait l'essence des chef d’œuvres.
En adaptant la pièce de théâtre de Wajdi Mouawad, Denis Villeneuve frappe durablement nos esprits. Il réussit à sortir du cadre de la scène de théâtre pour nous livrer une œuvre totalement cinématographique et à faire passer le message de l'auteur de la pièce sur le cycle infernal de la violence qu'engendrent les guerres et les conflits en général.
L'action centrale du film, et de la pièce, se déroulent dans un pays du Proche Orient dont on ne connais pas vraiment le nom, mais on devine très vite qu'il s'agit de la guerre du Liban - opposition entre chrétiens et musulmans, le nom de famille Marwan, le français et l'arabe comme langues officielles, les dates du conflit, etc -.
Sans rien révéler du fil de l'histoire - de la tragédie "grecque" -, sous peine d'enlever tout intérêt au spectateur, la trame de la pièce est un cadeau pour tout cinéaste: "en-quête" des origines et secret de famille, fatalité, promesses, responsabilités face à la violence , amour et pardon. Encore fallait-il la subtilité d'un cinéaste intelligent pour ne pas sombrer dans le grotesque d'un sujet aussi lourd.
En ne filmant pas la guerre de façon directe, mais en la suggérant de façon réaliste au travers des long flash- backs retraçant la vie de Nawal Marwan (Lubna Azabal, bluffante), mère "martyre" - les villes ravagés, les villages détruits, les exactions sauvages commises sur une population en fuite, les enfants soldats, le terrorisme de réaction aux divers traumatismes, la torture en prison, etc -, on comprend toute l'horreur vécue par la population quelle que soit le camp et les traumatismes qu'ils engendrent et l'enchaînement des conséquences à court, moyen et long terme.
C'est par là que Denis Villeneuve parvient à ne pas sombrer dans la sensiblerie, il tient la bonne distance. L'utilisation des plans larges - même dans la cellule de Nawal - et des panoramiques, y sont pour beaucoup. Sans tomber dans un hyper esthétisme de mauvais aloi pour ce genre de film, l'utilisation du cadre, de la photo (bonne restitution de la lumière éblouissante et aveuglante d'un pays méditerranéen), de la musique (belle BO) et d'un montage très maîtrisé, hissent le film au-dessus du tout venant et Villeneuve met tout cela au service du sujet, sans l'écraser.
L'adaptation, réussie, parvient grâce à tout cela et à la direction d'acteur (tous remarquables: Rémy Girard, les jumeaux Mélissa Désormeaux-Poulain et Maxime Gaudette) à nous emporter et à venir cueillir des émotions profondes et viscérales qui explosent dans les dernières scènes déchirantes et inoubliables.