Lorsque l’on évoque Marguerite Duras, il est impossible de ne pas penser à ses multiples romans, d’Un Barrage contre le pacifique à L’Amant, Duras a toujours évoqué sa propre vie, sans pour autant en faire la biographie.

Bien que ses œuvres cinématographiques soient rarement citées, elles existent, vaguant entre romanesque et théâtralité. Duras en 1975, présente son chef d’oeuvre India Song à Cannes, film testament donnant part belle au langage et à l’expression des sens. Le côté très textuel d’India Song passe par la précision du geste et des paroles, dénuée de vie. L’émotion de l’image passe par un regard, une marche ou un touché, sans jamais que quoi que ce soit déborde de cette essentialité. L’écriture prend vie, chaque acteur n’est que mots, précis et harmonieux, malgré leur caractère désynchronisé. Duras joue avec la notion de temps, désempare le spectateur de tout repère temporel, mais aussi de l’espace.

Un côté labyrinthique émane de ces espaces qui semblent n’être que des pièces d’une même immensité, non-reliées entre-elles, tant tout sort d’un imaginaire, celui de Duras. Ce film est une projection d’une pensée latente, riche par son décor majestueux qui parait daté, hanté par les fantômes du passé. La photographie sublime, ainsi que les différents éclairages viennent rendre le tout funèbre. La mort semble roder, mais le temps est si long et rallongé, qu’il serait quasiment impossible de n’être plus.

Tout à la même couleur, d’un coucher de soleil à ce château, India Song est une parenthèse hors du temps. Certaines voix semblent antérieur à la diégèse, d’autres viennent d’un présent. Mais où se trouve le présent du film ? Il est clair que l’ensemble des voix extradiégétiques qui raconte le film et prononce des dialogues, est le seul léger repère temporel, tant elles paraissent plus modernes que les images, à la frontière du Meta. La réalisatrice-écrivaine elle même, prend la parole, les images défilent, les mots les font vivre.

Le film semble faire écho à L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais, mais ici tout parait plus tangible. Duras parle directement aux spectateurs, l’invitation au voyage labyrinthique d’un Resnais est plus globalement caractérisée par le questionnement permanent, ici, comprendre n’est pas la clé, c’est le « laisser aller » qui l’est. D’ailleurs dans les deux films se trouvent Delphine Seyrig, actrice qui incarne par son regard perdu et par sa silhouette peu commune, l’essence-même d’un cinéma particulièrement aride et marginal.

Cette dissonance n’empêche pas le film d’être harmonieux, le collage d’idées, la poésie qui en découle à quelque chose de quasi-Godardien, mais en plus sensoriel et organique. La portée est très différente et n’est pas changeante au cours du film. Duras a un style bien particulier, qu’on n’en soit pas fan est une chose, parler de prétention n’est pas et n’a jamais été un argument recevable. La réalisatrice a un esprit créatif bien à elle, et elle joue de la lenteur, en fait l’apologie, pour justement créer un monde à part qui s’étire et qui vient chercher la poésie directement dans l’âme du spectateur.

Cette lenteur est caractérisé par de longs plans-séquences fixes où les comédiens sont figés, mais aussi par cette musique redondantes, mélodique et hypnotique, qui nous inviterait presque à la danse, en compagnie de Delphine Seyrig et Michael Lonsdale : deux comédiens qui paraissent en dehors du temps, possédés par la mélancholie des lieux, habités par des mots, et frappés par la grâce.

Le texte prend quasiment la place des images, elles ne sont que reflets d’arts déjà existants : littérature et théâtre. Les miroirs accentue l’absence, en dédoublant les personnages errants, venant ironiser leur solitude et le concept de vie à deux. Ils viennent aussi créer une avant-scène d’acteurs de théâtre, la réalité n’est plus, le pouvoir des arts l’a remplacée.

La chose la plus importante à l’intérieur du récit ici, est la musique, notamment India Song, qui vient créer différents degrés de lecture, en faisant coexister l’image et le son de manière surréaliste. Une certaine nostalgie se dégage de cette mélodie; La musique joue sans orchestre, et sans pianiste, comme l’impression qu’elle a été composée par un ancien propriétaire qui se servait du piano se trouvant dans la salle principale.

Dans ces lieux perdus quelque part dans le temps, une harmonie est naissante ; les mots de Duras, l’essentiel à l’image ; les fantômes dansent.

Créée

le 29 nov. 2023

Critique lue 193 fois

4 j'aime

Paul SAHAKIAN

Écrit par

Critique lue 193 fois

4

D'autres avis sur India Song

India Song
billyjean
9

Je suis snob.

Je dois être très snob car en plus d'avoir apprécié, j'ai même étudié ce film dans le cadre d'un cours. Cependant je comprend très bien ton avis, et je suis d'accord avec toi ce n'est pas film, ce...

le 14 nov. 2010

35 j'aime

6

India Song
Lulisheva
9

Un long silence sur le piano

C’est une chanson que je joue très tard la nuit, dans ma tête ou bien sur le piano. Souvent quand il fait chaud. Ça me rappelle l’Inde que j’ai imaginée. Je ferme les yeux pour jouer sur mon piano,...

le 18 juil. 2019

22 j'aime

7

India Song
takeshi29
8

Ou quand Michael Lonsdale se coince la biiiiiiiiiiiiiip dans un piège à ours...

Alors attention ici ça passe ou ça casse, ou plutôt si vous vivez la même expérience que moi, ça casse PUIS ça passe. En effet pendant une heure je n'ai cessé de penser à la célèbre phrase de...

le 7 déc. 2020

16 j'aime

1

Du même critique

Dune
Paul-SAHAKIAN
5

DUNE : La nouvelle SAGA pour ado.

Je ne connais pas l'univers d'Herbert et je n'ai pas vu le film de Lynch. Je me souviens avoir vu Jodorowsky's dune mais je n'en ai plus aucun souvenir, j'avais pas trouvé ça très intéressant...

le 26 nov. 2023

26 j'aime

Dexter: New Blood
Paul-SAHAKIAN
7

Dexter : LAST BLOOD

J'ai toujours beaucoup aimé Dexter, de la première saison à la huitième. J'avais plutôt apprécié la fin de la saison 8, même si elle me paraissait assez inachevée, autant au niveau de la réalisation...

le 9 janv. 2022

25 j'aime

7

Les Herbes sèches
Paul-SAHAKIAN
10

UNIVERSALITÉ INTIME

Quel ravissement de découvrir ce film en compagnie de Nuri Bilge Ceylan lui-même, à Cannes. Depuis la découverte qu'a été Winter Sleep, chacun de ses films raisonne en moi différemment, mais chacun...

le 29 nov. 2023

21 j'aime

2