Avant toute analyse critique mettant en avant griefs ou louanges, ce dernier segment s’impose d’emblée comme l’extension fantasmatique des réalisateurs issus de L’Âge d’or des grands Studios. La longue séquence d’ouverture révélant un Indy jeune et survolté cristallise à elle-seule ce que le Hollywood vieillissant de la fin des sixties aurait pu envisager à l’égard de ses dernières stars en fin de règne. La nature profonde du Cadran de la destinée est de s’affirmer comme le dernier sang affilié au spectacle de foire loin de tout pragmatisme du blockbuster scientifico-didactique contemporain (Dune, Dunkerque, Tenet) pour en livrer un tour de magie à l’ancienne. Quant à la fonction, plus noble encore, elle s’articule autour de la question : « Peut-on être et avoir été » même s’il s’agit d’une figure mythique de la pop culture depuis plus de quarante ans.
Certains, bien en amont de James Mangold ont tenté d’y répondre. D’ailleurs, n’était-ce pas le rêve secret de Donald Siegel sur Le dernier des géants d’établir en préambule la jeunesse et la superbe de John Wayne par le truchement des rushs de « Hondo » et de « La Rivière rouge » avant de shooter au présent la carcasse affaiblie du vieux cow-boy ? Si on ne peut prêter des intentions techniques (le fameux De-aging) que Siegel aurait éventuellement balayé s’il en avait eu l’usage, l’idée d’une timeline passée et glorieuse jointe à une seconde située des décennies plus tard démontrent des velléités communes avec le projet de Mangold. Mieux, « Le Cadran de la destinée » s’inscrit au carrefour culturel du western encapsulant L’homme de l’ouest de Anthony Mann (la gémellité de Ford avec Gary Cooper n’est plus à démontrer) Le Dernier des Géants de Siegel et les dernières œuvres de Andrew McLaglen mais il tâte également la fibre vieillissante du Rio Lobo de Howard Hawks pour ses thématiques sur l’érosion des légendes ou comment au crépuscule de la vie, les vieux corps trahissent les exploits physiques. À ce titre, John Wayne et Harrison Ford sont doublés plus qu’à l’accoutumée et le spectateur devine plus qu’il ne voit le subterfuge à l’écran. Si à l’instar de Logan la thématique du « Tempus Fugit » se montre fière au premier plan, quel visage arbore ce nouveau sequel une fois le masque de la vieillesse ôté ? À l’intersection du triangle des trois sommets à honorer (Le retour, la légende, le crépuscule de la vie) Mangold slalome avec la réelle difficulté de tailler une identité à son blockbuster. Mais le réalisateur en a-t-il seulement l’envie ou le dessein ? Le Cadran de la destinée ne trouve alors sa raison d’être qu’en exploitant le suc du serial déjà grandement mis en scène dans la tétralogie. Le metteur en scène de Copland ne déviera jamais de sa trajectoire avec l’intention de mimer douloureusement les canons artistiques de son prédécesseur. L’objectif parait assez clair : Il s’agit d’offrir un ride sans incursion trop profonde gommant l’excès de forte personnalité et d’incompréhension du Crâne de cristal. Ainsi, piloté sur une voie de chemin de fer désaffectée, Indy ne craint plus l’originalité de ses auteurs naviguant à présent dans les eaux peu profondes de l’ambition.
Dans cette perspective, ce retour a de quoi séduire la frange nostalgique des passionnés de l’archéologue. En apparence seulement… Le Cadran de la destinée réfute non seulement l’idée de brosser une personnalité propre mais recycle les dispositifs narratifs et techniques dictant le tempo de ses ainés. Focalisé sur la communication de ses SFX rajeunissants, ce nouvel Indy pioche allègrement dans le flash-back pour sa séquence d’introduction. Un écran de fumée opaque dissimulant l’ouverture westernienne de La Dernière croisade déjà sur la jeunesse du Professeur Jones et déjà situé…dans un train. C’est dans cette dynamique photocopiste que le cinquième volet déroule sa formule éprouvée rarement euphorisante. Au cœur du carcan artistique, Mangold redistribue les cartes tout en tendant un miroir aux opus antérieurs. Sous le calque de La destinée apparaitront sans peine les fantômes créés par Lucas et Spielberg :
- Voller (Mads Mikkelsen) en plein mimétisme corporel et vestimentaire de Todt de la Gestapo (Ronald Lacey)
- Helena Shaw (Phoebe Waller-Bridge) mosaïque féminine élégante comme Willie Scott, érudit comme Elsa Schneider et détentrice du swing rapide de Marion Ravenwood.
- Teddy (Ethann Isidore) Succédané de Short-Round (Demi-Lune) au background similaire.
- Hauke (Olivier Richters) Le muscle dans la grande tradition des bad guys de la saga autrefois incarnée par Pat Roach.
Etc…
Le Cadran de la Destinée ne se limite pas aux figures récurrentes puisqu’il recycle des tropes, des répliques emblématiques voire même remake formellement des scènes (la grotte aux insectes) sans en procurer le frisson de dégout. Dans cette volonté de coller à l’esprit, le plus étonnant reste le souhait de retranscrire une seconde fois mais dans une approche plus profonde, la mélancolie du Royaume du Crâne de cristal. S’adressant au doyen Dean Charles Stanforth (Jim Broadbent), Indy évoquait avec tristesse la mort de Marcus Brody puis celle de son père laissant échapper un sentiment de solitude palpable. Le cheveux grisonnant, Indy n’était plus l’idole des étudiantes et sa position politique avait changé. En une poignée de dialogues aidées de narration visuelle, Jones Jr était devenu un anachronisme en pleine guerre froide. La déconstruction d’Indiana Jones par Spielberg était en marche et sous-entendait la retraite prochaine sans toutefois égratigner l’idole au fédora aujourd’hui presque dévitalisée par le deuil et le divorce.
L’Art du copiste prend alors tout son sens. Mais qui est fondamentalement l’artiste ? Celui qui est à la base des formes ou celui qui s’en inspire avec une pointe de changement ? C’est peut-être là que James Mangold et Frank Marshall entendent le mythe Indiana Jones s’opposant à la vision non binaire de Spielberg et Lucas. Un cuir, un fédora à remplir à l’aide d’un corps fatigué et un fouet à faire claquer pour la caution spectaculaire. Cette vision restreinte de l’aventurier n’exploite que sa part exotique. Selon Lucas et Spielberg, la colonne vertébrale d’Indiana Jones est invisible et purement cinéphile/BDphile épousant à loisir les cadres d’Hergé (Le Temple Maudit/Le Temple du Soleil/Le Lotus Bleu – La Dernière Croisade/Coke en stock – Le Crâne de cristal/Vol 714 pour Sidney) et les vertus du cinéma de Fritz Lang (Chasse à l’homme/Cape et poignard pour le pulp et l’effort de guerre – Le Tigre du Bengale/Le Tombeau Hindou pour le cadre)
Pourtant, ce que nous dit James Mangold est qu’il ne convient pas de lire son film au travers de cette essence culturelle mais dans la progression du mythe expurgée de ses glorieuses références. Le Cadran de la destinée s’est émancipé de ses ainés pour puiser à même dans la source et lui apporter sa conclusion sur un plateau d’argent. Ce ne sont plus les exploits d’Indy que l’on applaudit mais sa ténacité face aux épreuves de la vie. À présent, l’archéologue n’est plus un mythe mais un vieil homme. Que le spectateur l’étreigne s’il le souhaite.