Tout ce qui est indépendant a fini par atteindre les rives du mainstream, parce que l’indé c’est le bien, le reste c’est le mal, et surtout en parler c’est vendeur. D’ailleurs cet Indie Game a gagné le prix du meilleur documentaire à Sundance, ce qui n’était pas forcément un gage de qualité, le festival étant bien loin de son époque où il était REELLEMENT indépendant.
Néanmoins il serait assez salaud de taper sur les doigts d’un documentaire parce qu’une majorité de productions opportunistes se sont jetées sur le filon. Surtout qu’Indie Game est un excellent documentaire sur les jeux-vidéo, indépendants ou pas, pour la bonne raison qu’il fait la jonction entre le concepteur et le terminal, l’Homme et la machine, le créatif et son public, s’attardant bien plus sur les aspects humains que sur les déclarations de variables et autres includes, rébarbatifs au possible, n’ayant pas envie de faire découvrir ce monde aux non-initiés. Car c’est aussi ça la force d’Indie Game, le néophyte n’est pas perdu dans un jargon pouvant paraître obscur, tout comme le plus hardcore des gamers n’a pas l’impression d’être pris pour un inculte. Qui plus est le but de la bobine n’est pas de nous expliquer ce qu’est un jeu-vidéo et comment on le conçoit, mais davantage de nous faire découvrir le quotidien des gens qui sont derrière, leurs joies, leurs déceptions, leurs colères, leurs drames, leur enthousiasme ou leur amertume. Indie Game reste d’ailleurs neutre lorsqu’il s’agit de parler des grandes enseignes, de même que lors de toutes les prises de position. Tommy Refenes n’hésite pas à dire que Halo Reach et Modern Warfare c’est de la merde, alors que son comparse, Edmund McMillen, s’étonne quant à lui de voir leur jeu (Super Meat Boy) avoir une meilleure réception que de grosses licences, qu’il reconnait attendre avec impatience. Jonathan Blow, créateur de Braid mais aussi coqueluche du net à cause de ses incessantes interventions sur les critiques en ligne dispose de son droit de réponse, mais encore une fois la production permet à un autre (Chris Dahlen) d’expliquer pourquoi ses actes l’ont fait passer de génie à risée du gaming.
On assiste même à la déconfiture progressive de Phil Fish, papa de Fez, qui aura vécu toute une succession de drames, dont une banqueroute, et cette partie sera aussi un bon moyen de comprendre la pression qu’a eu le développeur, obligé de publier son jeu dans l’empressement, et pourquoi d’un concept génial nous sommes finalement arrivés au final le plus frustrant, le jeu étant probablement le plus buggé qu’ait pu accueillir le XBLA.
On pourra reprocher à la bobine de se centrer sur des créatifs dont les jeux ne sont plus à présenter, mais primo les jeux en eux-mêmes ne sont que peu montrés durant le documentaire, et secundo le but est de faire découvrir le quotidien de ces personnes au travers d’une aventure humaine, donc autant suivre des têtes connues qui sont passées par la galère avant de connaître le succès. Néanmoins une version plus longue d’Indie Game devrait voir le jour, laissant la parole à des développeurs moins connus, mais l’essai se voulant populaire il fallait une durée raisonnable (100 minutes), de même qu’éviter de multiplier les visages, ce qui aurait pu vite perdre en cours de route ceux auxquels ce monde est étranger. On déplorera certains artifices visuels qu’usent les réalisateurs Lisanne Pajot et James Swirsky, signant ici leur premier long-métrage, et donnant à celui-ci par moment des aspects de bouts de tests de cadrage/mise en scène (Phil Fish qui picole à un bar, Phil Fish qui plonge dans l’eau, un type qui cherche des cents sur la plage avec un détecteur de métaux), meublant la pellicule de phases contemplatives inutiles, en plus d’user un peu trop souvent de plans de McMillen la larme à l’oeil.
Indie Game répond donc présent à tout ce qu’on lui demandait, que ça soit être original et ne pas nous noyer dans du déjà vu, sait expliquer les choses sans diviser le public, passionne grâce à ses histoires émouvantes, évite de faire l’apologie de l’indépendant au détriment du mainstream, en plus de disposer d’un montage propre dans sa linéarité. A voir que l’on soit accroc ou non aux jeux-vidéo, à voir que l’on aille ensuite jouer à Limbo ou Mass Effect 3, tout simplement.