Avec la vision pour le moins particulière et surprenante du cinéaste Tony Gatlif du mouvement des indignés – qui s'est constitué à travers plusieurs pays suite à la publication et au succès incroyable du petit livre de Stéphane Hessel – l'indignation risque fort de gagner le camp des spectateurs. Ou une sorte de stupéfaction face à l'étrange objet qu'est Indignados, une sorte de happening permanent qui mêle fiction et réel. La partie fictionnelle est représentée par la fuite de Betty, jeune africaine clandestine errant en Europe au gré des reconduites, des expulsions et des circonstances. C'est au travers de son regard qu'est capté le réel, soit les révolutions arabes du printemps 2011 (en Tunisie) et les mouvements des indignés (France, Grèce et Espagne). Sans dialogues, ponctué de phrases extraites – qu'on est en droit de trouver à la fois définitives et oiseuses – du manifeste de Stéphane Hessel incrustées dans l'image, le film est une sorte d'errance chaotique sans véritable point de vue de la part du réalisateur de Gadjo Dilo.
À force de brasser des thèmes multiples (immigration, crise, pouvoir de l'argent), le film reste superficiel, pour ne pas dire inconsistant, frôlant l'arnaque, puisque l'évocation des manifestations des indignés remplit à peine un tiers de l'ensemble, et finit par présenter celles-ci comme un joyeux et festif bordel sans jamais se pencher sur leurs motivations et revendications. On retrouve ici ce qui a caractérisé l'œuvre de Tony Gatlif : l'omniprésence de la musique, métissée et éclectique, à l'image des individus qu'il côtoie pendant son périple, l'engagement somme toute naïf et simpliste pour les 'grandes' causes. Hélas, tout ceci a plus à voir avec la vacuité et la superficialité, prenant le parti, probablement involontaire, de la caricature folklorique, ce qui, au final, nuirait aux démarches initiées par les indignés. Dernièrement, deux films ont proposé un regard nettement plus subtil sur les révolutions arabes : Laïcité Inch'Allah ! de Nadia El Fani et surtout Tahrir, place de la Libération de Stefano Savona. Deux documentaires autrement plus percutants que la vision angélique, absurdement décalée et prétentieusement artistique, d'un Tony Gatlif visiblement à côté de son sujet dont on peine à croire qu'il s'en soit senti proche ou concerné.