De film en film (le troisième aujourd’hui), Brandon Cronenberg s’affirme dans son style comme dans ses thématiques, et il y a fort parier que d’ici quelques années, il saura parvenir à une forme d’œuvre parfaite, totalement aboutie (et, en toute logique, être le digne successeur de son père). Car Infinity pool, et malgré sa maîtrise visuelle, son sens du grotesque et son récit plus qu’intrigant (très ballardien d’ailleurs), souffre lui aussi des défauts qui, déjà, gênaient (pas mal) dans Antiviral et (un peu) dans Possessor. Là encore, il s’agit pour Cronenberg d’interroger les fondements de la personnalité à travers les diverses exploitations (et annihilations) du corps : la célébrité dans Antiviral, le contrôle et l’assassinat commandité dans Possessor, le clonage comme dérivé de justice sociale dans Infinity pool.
Prenant pour cadre un hôtel de luxe ultra sécurisé dans un pays imaginaire d’Europe de l’Est pas spécialement accueillant (défini comme très conservateur et très religieux), le film va s’ingénier à égarer son antihéros James Foster, écrivain minable en panne d’inspiration, dans les méandres d’un questionnement existentiel radical (et la question que pose le film à la fin est on ne peut plus claire : qui suis-je réellement ?). Questionnement qui passera par la possibilité, à condition d’avoir l’argent nécessaire, de créer un double expiant à votre place vos crimes et délits (seul impératif : assister à votre propre exécution, vous regarder mourir).
Dès lors, pourquoi se priver de shoots d’hyper-violence (c’est jouir sans faillir, poussé à son paroxysme moral) quand on sait qu’une extension de soi-même sera condamnée à mort ? Mais le procédé révèlera vite ses limites, non seulement dans une sorte d’altération de soi ("Nous sommes tous des zombies ici", dira l’une des protagonistes du film, et James, dès son premier dédoublement, en reviendra comme hagard), mais surtout dans l’angoissante éventualité que, dès le départ, les autorités n’éliminent pas le double, mais bien la vraie personne (mais comment le savoir ?), laissant ainsi quelques doppelgängers agités folâtrer dans la nature.
Doubles clonés, rêve (la première scène du film, dans le noir, pose d’emblée un doute, la femme de James affirmant qu’elle ne saurait dire s’il dort ou s’il est éveillé), désirs enfouis, imagination au travail d’un écrivain en mal d’inspiration, drogues hallucinogènes : tout est bon pour, constamment, brouiller la tangibilité de la narration et en proposer différentes lectures. Un peu trop sans doute, car Infinity pool a tendance à s’embrouiller dans ses volontés de profusion (voire d’outrance : le film a dû batailler contre la censure) et se perdre dans ses intentions (en premier lieu la critique, un rien superficielle, d’une société où l’ultra-riche peut faire tout ce dont il a envie), nous laissant à la fin avec cet indéfectible sentiment de frustration dont, quand on voit de quoi est capable Cronenberg junior, on se serait bien passé.
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