Les vacances de James sont à chier, constamment en décalage avec le cadre comme s'il était perdu, il l'est tout autant dans sa vie et dans ce Club Med de luxe. Figure d'impuissance, dévorée par la personnalité et surtout l'argent de sa femme, James est un être qui n'a pas trouvé sa place dans le monde, la preuve ultime étant qu'à l'ère du paraitre il ressemble plus à un influenceur LinkedIn qu'à l'écrivain qu'il prétend être. Rien d'étonnant donc à ce qu'il se laisse tenter par la rencontre d'une de ses fans, lui apportant la reconnaissance et l'admiration qu'il semblait avoir renoncer à chercher. Chant des sirènes on ne peut plus dangereux, la séduction exercée par la tumultueuse Gabi l'amène à tuer un homme par accident. Jaillit alors l'élément science-fictionnel dont l'ombre planait depuis le début du film : dans ce pays fictif en apparence arriéré, une avancée technologique majeure est utilisée comme outil de racket auprès des riches étrangers, ceux-ci peuvent être clonés et mis à mort sous leurs yeux à leur place s'ils ont le malheur d'y être condamnés - ce qui semble très simple au vu des lois en vigueur. Lors d'une successions de scènes froides, douloureuses, mais non dénuées d'un certain humour - James y étant au summum de son ridicule - Cronenberg nous fait sentir l'horreur de la situation et le traumatisme résultant de cette épreuve, nous faisant presque croire que le thème du film va être la culpabilité. Il n'en sera rien.
Car les vacances de James deviennent étonnamment tout à fait énormes, attiré par Gabi dans une communauté usant et abusant de cette règle du clonage, il dit tchao à sa femme et commence à vivre sa meilleure vie. Au sein de cette secte peuplées de personnalités fortes se considérant comme des dieux après avoir vu mourir leur corps et pouvant se permettre de répéter le processus à l'infini, James va faire les 400 coups : entre scènes sensuelles masquées provoquant des réminiscences d'Eyes Wide Shut et violence à l'état pur, il semble enfin exister en compagnie de ces figures vampiriques. Jouant encore avec nos nerfs lors d'une scène nous faisant croire que la réalité les rattrape, Cronenberg crée ensuite avec cette confrérie quelque chose de particulier tant il est a la fois fascinant et répugnant de voir évoluer cette bande de sales gosses immoraux pensant - à juste titre - avoir le monde à leur pieds. En transformant James en monstre il souligne le danger inévitable d'une démarche égocentrique, viriliste et inconséquente poussée à son paroxysme, ce qui est tout sauf malvenu dans un monde où Andrew Tate a des millions d'abonnées malgré son incarcération. Le décalage avec la réalité et l'abus de violence qui en résultent sont si difficiles à voir défiler a l'écran qu'ils nous rappellent la nécessité de ne pas laisser les choses dégénérer avec ce genre de personnages.
La chute n'en sera que plus dure pour James, qui, trop aveuglé par la joie d'exister enfin, ne se rendra compte qu'il n'est qu'un jouet pour ses comparses lorsqu'ils commenceront à l'humilier faisant retomber l'écran de fumée et le sentiment d'impunité qui l'accompagne dans une suite de scènes toujours plus violentes physiquement mais surtout moralement, le faisant replonger dans sa situation de pauvre type originelle et l'enfonçant un peu plus encore. Si la fin peut laisser le spectateur sur sa faim tant elle vient clore de manière calme une tempête d'action et de brutalité, elle n'en est pas moins interessante, car en montrant ces psychopathes retourner à leurs petites affaires comme des gens normaux, elle nous glace le sang une dernière fois, et ceci de manière inédite.
C'est dans ce double retournement de situation que se tient l'intérêt du scénario, faisant passer James du loser soumis à un monstre démonstratif sans foi ni loi pour le faire retomber plus bas que terre lorsqu'il se rend compte qu'il a, en fait, une place de choix parmi les divertissements du groupe, plutôt qu'une place parmi eux. Il n'est pas monnaie courante de dire que Alexander Skarsgård est parfait pour un rôle, mais la c'est le cas, son air perdu et sa silhouette tant soignée qu'elle en devient fade collent parfaitement a cet espèce de colosse n'arrivant pas a trouver sa place en ce monde. De l'autre côté, Mia Goth rafle encore une fois toute l'attention dans un rôle de manipulatrice sociopathe cousu main, poussant tous les curseurs dans une démesure outrancière que ne réfuteraient ni Nicolas Cage ni Klaus Kinski.
Au delà de son intérêt scénaristique et de ces performances mémorables, Infinity Pool a le bon goût d'être aussi une réussite visuelle, de la même manière que dans le déjà très bon Possessor, Cronenberg saupoudre son film de scènes épileptiques tout a fait splendides, y créant une recherche visuelle esthétique encore plus poussée et ajoutant un aspect onirique de bon aloi venant contraster avec la crudité ambiante.
On pourra reprocher à l'ensemble un certain manque de subtilité, selon moi il tire son charme de l'aspect frontal et basique qu'a l'ensemble des confrontations s'y déroulant, c'est une oeuvre brutale, ne faisant de concessions qu'à un esthétisme travaillé et fascinant. L'absence totale de réalisme de la situation initiale nous indique encore plus son caractère métaphorique : récit sur la violence des dynamiques de groupe, sur le besoin de se sentir exister, métaphore des comportement coloniaux et plus largement bourgeois, Infinity Pool est un film beau, intéressant et marquant, qui devrait, selon moi, permettre à son créateur de ne plus systématiquement être comparé négativement à son père. Ce qui ne sera surement pas le cas au vu de la note globale qu'il arbore et que j'avoue avoir du mal à comprendre.