Voici le meilleur film sorti depuis longtemps. Paul Thomas Anderson l'a réalisé qui l'aurait cru ? Pas moi en tout cas. Il rejoint donc la famille des artistes à maturation lente, qui par une pudeur gigantesque arrosée de virtuosité précoce n'ont pas été en mesure de laisser pisser leur génie. A la source de ce merveilleux jaillissement se trouve une collision avec un astéroïde de taille supérieure, celui qui avait été serré trop longtemps entre Paul et Anderson et qui signe d'un P qui veut dire Pynchon. Magnifique comète littéraire qui trace sa route au mépris de la gravité et du star system, d'un arc-en-ciel au mille personnages colorés (tiens l'affiche bien ouèj...). Voilà qui dégonfle une baudruche : Anderson le bateleur stylé commet une oeuvre d'allégeance et s'élève au firmament in extremis soulevé par le fond de la culotte. A la pynchonienne façon, Paul Thomas Anderson - que je n'appellerai pas PTA - structure son film autour d'un revanchard et puissant coup de reins qui nous encule progressivement l'esprit par le truchement d'un montage fou de précision. Ce qui pouvait affaiblir ces précédents films : la subculture intrusive à toutes les sauces, musique omniprésente, acteurs collectionnés comme des images Panini - fait absolument sens dans ce film d'une façon inédite et cela tient certainement à la leçon enfin apprise de la bouche-même du vieux Pynchon qui la tenait lui-même de Marcel Proust : "La vraie vie, c'est la littérature Motherfucker !". Faisant donc table rase de la version très actuelle et nauséabonde d'une esthétique réaliste qui compte nous démontrer, navet après navet, que "pour ce film la physiologie des elfes a été conçue sous le patronage d'experts de la NASA", Paul Thomas Anderson nous offre cette magnifique fiction post-moderne qui ne se prend pas pour autre chose : l'agencement savant - bien que partiellement aléatoire - d'objets, de personnages, de symboles,de discours inventés, politiques, grotesques, surimposés en cut-ups qui forment ensemble un mur psychédélique, opaque, chatoyant qui, comme la perception trouble et contingente que nous avons de notre vie au présent, nous dissimule l'essentiel : l'amour et le bonheur que nous vivons après coup.
La fiction, parce qu'elle est rétrospective et la drogue, parce qu'elle est introspective sont donc les uniques sésames qui peuvent ouvrir un instant la porte de notre propre bonheur, sans que nous puissions toutefois l'expérimenter pleinement car nous restons indécrottablement fixés au présent énigmatique et sensuel, tels des moustiques sur une lampe. Paul Thomas Pynchon a vraiment réalisé quelque chose avec ce film.
Est-il nécessaire d'ajouter que Joaquin Phoenix est encore meilleur que jamais ?